[Live Report] Ulrika Spacek et Sylvie à la Maroquinerie (Paris) : splendeur de la décadence

Après un passage salué au festival Levitation, c’est à la Maroquinerie que se sont invitées les guitares déstabilisantes d’Ulrika Spacek, l’occasion d’enfin y recevoir la décharge électrique que l’on attendait depuis le retour du groupe londonien.

Ulrika Spacek
© Eddie Whelan

L’absence prolongée d’Ulrika Spacek a été longue, mais les adeptes du groupe londonien n’ont pas cessé de croire à leur retour, et étaient bien au rendez-vous ce lundi soir. On ne doute pas d’ailleurs, que beaucoup aient aussi rejoint l’embarcation à la découverte de leur dernier album Compact Trauma qui synthétise à lui seul toutes les qualités, et elles sont nombreuses, d’un groupe qui cultive une apparence détachée pour une musique qui, pourtant, prend aux tripes quiconque prend le risque de s’y plonger.

Sylvie à la MaroquinerieC’est Sylvie, un groupe qu’il faudrait plutôt nommer collectif, car composé de sept membres, avec pléthore de guitares en tout genre : acoustiques à douze ou six cordes, électriques, steel guitar… Le tout agencé pour faire revivre l’esprit folk et allègre des seventies. Pour certains d’entre nous qui avons un weekend de festival dans les pattes, difficile d’être bien réceptif à la légèreté des compositions de cette tribu. Le ton cependant, est à la plaisanterie et la bienveillance, et l’on se prend de sympathie pour ce projet porté par Ben Schwab (Drugdealer). Sublimées par la belle voix de la seule femme de la bande, ces (re)compositions d’outre-tombe sonnent, si ce n’est neuf, particulièrement juste, et on souhaite bon voyage à cette drôle d’équipe.

Pedalboards et guitares électriques viennent remplacer le set chanson-feu-de-bois de la première partie, et le public réserve un accueil très chaleureux à la bande de Rhys Edward. Trois guitares donc, suppléés du batteur et du bassiste, resté relativement discret dans l’ombre du chanteur. Il n’en faut pas moins pour que les compositions sophistiquées du quintet sonnent, ou plutôt dissonent, car c’est dans l’exercice de la discordance harmonieuse que se trouve le nerf du projet. A l’évidence cependant, c’est Rhys Edward qui en impose plus que les autres. De sa voix, de son jeu de guitare, de son air torturé, bref le type a tout de l’artiste accompli mais jamais satisfait, si bien qu’il pousse à des hauteurs jouissives le potentiel d’une musique qui mature depuis de nombreuses années déjà.

Ulrika SpacekIl y a des morceaux plus immédiatement accrocheurs que d’autres dans la discographie d’Ulrika Spacek, mais ce ne sont pas ceux que le groupe choisit prioritairement de jouer en concert. Mêlant intelligemment anciens et nouveaux morceaux, la setlist s’adresse à des oreilles accoutumées aux harmonies discordantes caractéristiques du quintet, à ceux qui prennent un savant plaisir à grincer des dents sur l’introduction d’It Will Come Sometimes.

Electrisant et doux à la fois, le jeu des cinq musiciens sur scène porte l’accent sur une mise en transe lente mais certaine. Du premier au dernier titre ne fait que s’épaissir ce brouillard sonore terriblement enivrant duquel, une fois submergé on ne souhaite plus sortir. Ne pas essayer de résister : il faut sciemment baisser les armes et accepter de subir les écorchures infligée par les guitares tranchantes et la voix doucereuse de Rhys Edwards.

Ulrika Spacek à la MaroquinerieLa grâce décadente du dernier album s’associe parfaitement avec le charme grinçant et distordu de ses prédécesseurs, et nous plonge dans un état second, entre l’ivresse de la transe et la léthargie, la douceur du rêve et l’âpreté du réel. La dernière ligne droite du concert relève particulièrement d’un torrent de sensations disparates, où la nostalgie de Saw a Habit Forming cède place aux mélodies bruitistes et grinçantes de Sheer Drop, avant que d’exploser sur Mimi Pretend, un des titres les plus « faciles » du groupe, bien qu’un tel adjectif ne convienne guère aux sentiers pluriels et épineux empruntés par Ulrika Spacek : l’association est subtile, mesurée, les corps s’embrasent naturellement, car tout, depuis la première note du concert, préparait à cette apogée claquante.

Une acclamation et une demande de rappel plus tard, ils reviennent sur le devant de la scène pour interpréter No Design, le morceau de clôture de Compact Trauma. Choix déroutant, mais qui s’avère judicieux, car laisse planer dans la Maroquinerie une atmosphère surréaliste, et à l’image d’un groupe à l’impressionnante maturité.

Texte et photos : Marion des Forts