Générateurs inépuisables d’harmonies exaltantes, les Montréalais d’Half Moon Run sont de retour avec un album qui demeure séduisant, malgré quelques déséquilibres.
L’excellent Dark Eyes fêtait l’année dernière sa première décennie d’existence, celle également de notre première rencontre avec Half Moon Run, dont le potentiel sur ce disque avait captivé bon nombre d’oreilles en quête d’une bande-son à l’amertume de leur existence. Dans les bagages de la formation montréalaise, on retrouve tous les atouts d’un groupe d’indie folk comme il en existe des milliers, mais là où Half Moon Run se distingue, c’est qu’il n’en a pas le caractère insipide ou superficiel. Mélodies addictives oui, mais à l’exécution toujours impeccable, au grain de voix singulier et aux arrangements sublimes. Dark Eyes n’a pas pris une ride, et ses successeurs n’en démentent pas.
Ponctuant leur discographie de sorties régulières depuis leur dernier album A Blemish in the Great Light sorti en 2019, les Montréalais reviennent cette année avec un long format et un défi à relever, car après une décennie d’existence se pose l’inévitable question de la longévité du groupe : méritée ou bien forcée ? Salt pourrait marquer l’album de trop, pour une formation qui, il est vrai, ne se renouvelle pas tant au fil des années.
Ce quatrième album consacre la volonté des membres du groupe de lâcher prise, et c’est en ce sens qu’ils l’introduisent par You Can Let Go, un titre qui se veut exempt de toute contrainte de genre assigné. Chacun s’essaie à l’instrument et au style qui lui chante, et en résulte un disque à l’embranchement de toutes les voies jamais empruntées par Half Moon Run, mais qui hérite tout de même de certains déséquilibres.
Le trio avait beaucoup de projets plus ou moins achevés dans les tiroirs, et un certain nombre d’entre eux se retrouvent sur cet album. C’est le cas d’Alco, dont la ligne introductive grattée au ukulélé a tranquillement maturé pendant plusieurs années avant que de retrouver sur ce titre. Le beat est simple, mais les harmonies piquées si jouissives qu’on ne peut que l’écouter en boucle, jusqu’à en connaître les lignes du refrain par cœur : le plaisir est coupable mais avoué.
Cependant, la dynamique ascensionnelle n’est pas constante, et retombe par moment sur des ballades folk dont on ne connait que trop la chanson, à l’image d’Everyone’s Moving Out East ou Heartbeat. Certes, la recette d’Half Moon Run, c’est en partie celle du jeu acoustique, mais ce n’est pas celle qui émeut le plus à côté du potentiel de titres bien plus travaillés comme 9beat. Le trio s’y offre une délicieuse montée en intensité, marquée par des emprunts à Radiohead, jusqu’à ce que cordes, pianos et harmonies vocales se rencontrent au sommet. Là réside tout le potentiel d’Half Moon Run, dommage qu’il ne transcende pas l’entièreté de l’album.
Goodbye to Cali marque un autre de ces points culminants qui, a fortiori tendent à amoindrir l’impact du reste de l’album. Et pourtant, on ne peut que louer les qualités d’un titre du genre, où groove funk, synthés house et chœurs entretiennent un dialogue savoureux. Prenant l’allure d’une jam session, cette ode à un temps de vie écoulé en Californie se pare d’une batterie d’instruments et de sonorités grisantes, se targuant au final d’une densité magistrale et prouvant l’ouverture aux possibles du groupe. Certes, l’album offre quelques autres pistes intéressantes, celle notamment du titre éponyme, moins structuré, et qui finalement incarne plus savamment cette volonté de « lâcher prise » du groupe. Mais le reste du disque demeure un peu trop léger pour marquer l’oreille.
On pourra dire que Salt manque de sel, car l’extase ici n’est pas celle qui nous prenait à la découverte des premières pérégrinations sonores du groupe. Mais Half Moon Run est aussi un groupe qui s’écoute partout, en tout temps, pour accentuer tantôt ses larmes, tantôt ses sourires. Salt à cet effet, n’est pas un album audacieux, mais confortable pour qui se réfugie toujours auprès de la chaleur de la musique du trio montréalais.
Marion des Forts