Pink Floyd – Meddle : Meddle of Honor

Les velléités symphoniques et la structure Classique d’Atom Heart Mother semblent dorénavant derrière eux. Les Floyd se recentrent sur leur noyau dur : le groupe, et viennent livrer un album à la structure très proche d’AHM mais dont un titre plus précisément va venir révolutionner l’essence même du groupe. Après Echoes plus rien ne sera pareil. Il est le point de bascule magnifique d’un groupe qui s’apprête à rentrer dans son âge d’or et dans la légende par la même occasion. Pour ne plus en sortir.

pink-floyd-1971
De gauche à droite : Roger Waters, Nick Mason, David Gilmour et Richard Wright.

Atom Heart Mother est sorti et s’est classé numéro 1 des charts Britanniques à la fin du mois d’octobre 1970. C’est un soulagement pour les Pink Floyd, après les demi-succès publics de A Saucerful of Secrets et d’Ummagumma et la mauvaise expérience avec Michelangelo Antonioni sur Zabriskie Point, AHM vient assoir les Floyd sur les bancs encore étroits d’un Rock expérimental et progressif en pleine expansion et leur donner la validation, cette légitimité du public et de la critique dont ils souffraient secrètement depuis le départ de Syd. L’ambition symphonique et cette emphase classique qu’ils ont su trouver sur AHM, cette voie qu’ils semblaient encore chercher sur Ummagumma et dont ils ont esquissé les grandes lignes sur l’album suivant vient conforter nos quatre amis sur la direction du chemin qu’ils s’apprêtent à prendre.

pink-floyd-meddleC’est entre deux tours, après avoir fait tourner Atom Heart Mother en Europe et aux États-Unis durant quelques mois et encore chaud de ces lives fiévreux et interminables que les Floyd se rentrent à London City, aux Studios Abbey Road plus précisément, pour travailler sur leur prochain album. Nick Mason rapporte qu’avant d’attaquer l’enregistrement du nouvel album, EMI leur aurait proposé un accord inédit leur octroyant un temps de studio illimité contre une légère perte de leurs royalties. Seul Les Beatles avaient eu un accord similaire à cette époque.

Et du temps ils vont en passer à user les huit-pistes d’Abbey Road !

Le travail avec Ron Geesin sur le titre Atom Heart Mother, le travail sur le son, sur le découpage, sur l’architecture musicale qu’elle soit Classique ou Rock ont libéré les Anglais. L’ombre pesante de Syd et de ce Rock Psychédélique si marqué dans le temps, si fin-sixties s’est enfin envolée – même si l’on sait l’importance de l’ombre de Barrett sur l’imaginaire Floydien -, ils sont dorénavant totalement maîtres d’eux-mêmes et de leur musique. Les expérimentations en studio sur AHM ont laissé sur nos quatre amis de profonds traumas, ce besoin de travailler, de remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier, de lécher leur son à n’en plus finir, jusqu’à l’épuisement (Les ingé’ son diront que les sessions commençaient généralement en fin d’après-midi et se terminaient tôt le lendemain matin). L’accès illimité aux studios et aux nouveaux moyens de productions allaient ouvrir à la bande à Waters des horizons insoupçonnés et créer définitivement le son Pink Floyd. L’enfermement quasi autistique dans ces cabines d’enregistrements où le temps semble ne plus exister, la recherche obsessionnelle de quelque chose de différent, d’un nouveau son amènent les Floyd à rechercher d’autres méthodes d’enregistrements plus complexes et vont coupler leurs sessions enregistrements entre les Studios Abbey Road, AIR (La compagnie de disque indépendante créée en 1969 par les Beatles et le producteur George Martin après leur départ de EMI et qui possédait un matériel de pointe innovant) et Morgan.

Depuis AHM et son titre éponyme, depuis ce délire symphonique et sa structure sophistiquée occupant une face entière du disque, le groupe ne se suffit plus des méthodes d’enregistrements classiques. Ils trouvent – notamment chez AIR – ce qu’il se fait de mieux en Angleterre au niveau de la production sonore. Des bribes de chansons fabriquées après concerts dans ces chambres d’hôtels pleine d’alcool et de fumée sont jetées sur les seize pistes flambant neufs de chez AIR. Des notes, des riffs, des mélodies qui flottent dans les airs et qu’ils emprisonnent sur des multipistes nouvelle génération sans trop savoir qu’en faire. Des éclats de créativité captés en plein vol par une technologie en pleine évolution qui va permettre au groupe d’adapter de nouvelles méthodes de travail, de repenser le travail du son.

On sentait sur AHM – sur la première face en tout cas – un désir de sortir des codes du psychédélisme pour taquiner la délicate structure Classique. Une direction claire – à peu près ! – et définie semblait guider l’album précédent (et le précédent également d’ailleurs). Les Pink Floyd attaquent celui-ci sans véritables lignes directrices précises. Juste des bribes musicales, des fragments de Rock tombés du ciel.

Alors pour essayer de raviver l’étincelle, de stimuler cette inventivité musicale dont ils sont passés maîtres, ils vont s’adonner à différents processus de dynamisation créative. L’un d’eux consiste à faire jouer chaque membre sur une piste distincte, à « l’aveugle », sans qu’ils ne sachent sur quel rythme, dans quel style et sur quelle ambiance les autres membres sont partis. Quelques indications sommaires sur des structures d’accords sont établies et chacun y va de son inspiration du moment. Le travail de chacun, ces jams improvisés sans queue ni tête, sans véritables débuts ni fins seront enregistrés et porteront un titre pour tenter d’établir dans ce chaos musical, un certain ordre, un semblant de lisibilité. Les Floyd vont laisser refroidir ces morceaux de Rock brut tombés de la roche à même le sol, lancés dans l’air par ces instruments livrés à eux-mêmes pour atterrir sur ces multipistes avaleurs de sons, pour reprendre la route pour une série de concerts. Rien d’exploitable n’est encore crée mais des éléments commencent doucement à s’imbriquer, des thèmes semblent remonter à la surface, des mélodies affleurent sur le fil de l’eau. De la vie semble naître du chaos.

C’est un souffle qui vient ouvrir l’album, un coup de vent. La nature qui vient donner le la, mais une nature contrefaite, surnaturelle au sens littéral du terme. Ce vent qui s’insinue dans les hauts-parleurs et te fait presque frissonner n’est qu’une contrefaçon, un effet « venteux » crée par un oscillateur sonore (un synthétiseur VCS-3). L’album semble traverser par cette nature, cette envie de création de la chose « naturelle » (on y reviendra avec Echoes). Ce désir de toucher par la technologie, d’approcher, un peu, la création divine.

Un riff de basse semble émerger de ce blizzard allégorique (One of these Days), une basse ténébreuse, entêtante (Il s’agit d’une ligne de basse passée dans un effet écho (le Binson Echorec). Deux riffs de basse sont couplés, l’un joué par David Gilmour sur des cordes de basse neuves, encore sèches et tendues et l’autre par Roger Waters sur ses vieilles cordes plus rondes, plus souples. Une tension s’installe immédiatement, inexorable, une urgence folle s’exhale de ces lignes de basses entremêlées lorsque soudain le drapeau vert se lève. Gilmour branche alors la disto’ sur sa Lap steel guitar (Ce sera la première utilisation en studio de la Lap steel, avant cela Gilmour se servait d’un bottleneck classique) et fait vrombir les moteurs imaginaires de cette course pleine de bruits et de fureur. Richard Wright n’est pas en reste et vient coller aux trousses de cette course de Lap Steel avec un orgue Hammond déchaîné rajoutant de la frénésie à la fureur; avant que Nick Mason ne vienne hurler d’une voix terrifiante: « One of these days I’m going to cut you into little pieces ! » dans un final incendiaire aux relents post-apocalyptique.

Le vent encore lui vient faire la transition, ce souffle si violent, porteur de mauvaises nouvelles, annonciateur de chaos sur One of these Days vient s’adoucir, se mêlant aux doux accords acoustiques de David et d’une Lap steel vidée de sa violence, de sa distorsion si sauvage du premier titre.

L’Acid Folk qui hantait More et certains morceaux d’Ummagumma ou d’AHM vient tirer sa révérence sur la jolie ballade A Pillow of Winds (le titre de la chanson proviendrait d’une main du jeu de mah-jong selon Nick Mason) composée par David Gilmour et écrite par Roger Waters. En effet Meddle vient définitivement enterrer les dernières miettes d’un Rock Psychédélique déjà vieux et mettre également un terme à la période dite « Pastorale » du Floyd. D’une structure pourtant très semblable à AHM, Meddle semble se faire le fossoyeur de l’ancien Floyd.

Fearless et son final chanté par le Kop de Liverpool et son célèbre You’ll Never Walk Alone, San Tropez et sa rythmique Jazzy sentant bon l’été, et Seamus où le chien fou de Steve Marriott (Humble pie),se met à hurler sur un petit jam Blues de Gilmour, nourrissent tout de même un ventre mou de milieu d’album assez dommageable. Ces trois titres n’y allons pas par quatre chemins viennent peser un peu lourdement sur le départ furibard de One of these Days et la douce respiration bucolique de A Pillow of Winds qui ouvraient l’album sous les meilleurs auspices.

Il faudra attendre les derniers aboiements du chien Seamus et la fin de cette pochade Blues assez moyenne pour que résonne un « ping » étrange semblant venir d’ailleurs. Une goutte d’eau tombant régulièrement sur la surface de l’eau ou bien le bruit du sonar d’un sous-marin perdu en mer et captant la sérénité d’un fond marin fantomatique ? Qui sait ! Ce simple « ping » (un si aigu au piano passant par une cabine Leslie et sûrement un Binson Echorec) sera le point de départ d’une aventure qui va durer presque six mois. Echoes n’est pas née comme un bloc compact et poli tombé du ciel (ou sortant de l’eau serait plus correct), la chanson est fabriquée à partir de ces expériences musicales que le groupe s’est imposé durant les sessions d’enregistrement et de quelques chutes d’albums précédents. Comme expliqué plus haut, ces jams à « l’aveugle » seront enregistrés et nommés pour garder le plus de matière possible pour un futur album. Ces chutes seront collées ensemble, ré-arrangées, repensées, déplacées bouts par bouts comme un puzzle infernal qui ne finirait jamais. Une fois une certaine cohérence acquise, une pseudo-homogénéité trouvée, les morceaux de chansons sont titrés:  Nothing, Parts 1-24 (Rien, parts 1-24). Ce patchwork musical est affiné, travaillé sans cesse, pour lisser les aspérités et donner la cohésion parfaite de ce nouveau monument de près de 25 minutes. Il deviendra The Son of Nothing (le fils de rien) puis The Return of the Son of Nothing (le retour du fils de rien) avant que la magie du studio et le génie du groupe ne donne naissance à ce sublime agrégat qui dorénavant semble une évidence. 

Roger va également prendre en main l’écriture des paroles (pour ne plus jamais les lâcher. Il deviendra l’unique parolier au sein de la formation) et faire redescendre les thèmes du Floyd plus près de nous. Pink Floyd est en train de changer de dimension et Roger souhaite tourner définitivement la page avec le Rock Psychédélique. Il redescend son Space Rock sur terre – mieux encore, sous les mers (on comprend mieux cette oreille immergée de la pochette) -, il abandonne le cosmos et cette espèce de spiritualité futuriste pour ancrer les thématiques sur ce qui deviendront les obsessions watersienne:  comme l’incommunicabilité entre les hommes, l’enfermement ou encore cette aversion pour toute forme d’autorité. Les convictions socialistes de Waters viennent également pointer le bout de leur nez sous la forme de cette interconnexion entre les êtres, cet écho de l’Humanité à travers le temps et les âges qui nous revient sans cesse et la beauté intangible de cette alliance innée. Waters transfère ses projections cosmiques vers des abysses tout aussi insondables, celle des profondeurs marines, celle de la profondeur de l’âme humaine.

Après ce « ping » mystérieux, si simple et pourtant si hermétique; la guitare entre alors en scène, éthérée, douce comme une caresse. La rythmique prend corps, discrète, efficace (Big up Nick Mason et la splendide ligne de basse de Roger !), l’orgue de Richard fait pleuvoir les notes comme autant de gouttes de pluies sur la surface sans vie d’une mer d’huile. Les voix de Gilmour et de Wright se mêlent dans une harmonie céleste – qu’elles n’atteindront plus jamais – perturbant ce déluge sensoriel, ce quelque chose de minéral, d’éternel, en injectant par la mélodie cette trace d’humanité, ce résidus de présence humaine sur ce bloc de sensations « purement » naturelle.

La deuxième partie s’ouvre sur une ligne de basse comme Roger sait les faire, plein de groove et de rondeurs avant que Wright ne viennent tapoter ses touches dans un pur style Funk répondant aux outrances électrifiées d’un Gilmour faisant cracher à sa Strat’ des stridences pleine d’agressivité et de réverb’ poussée au max.

Puis cette violence exacerbée, cette remontée à l’air libre, ce retour dangereux dans le monde des hommes semble disparaître, s’étouffer dans du coton. Le vaisseau Pink Floyd retourne sous les flots, retourne dans cette sérénité menaçante des fonds marins. La guitare de David accompagne l’immersion du groupe en faisant saluer les goélands de leurs cris perçants (cet effet serait survenu suite à une erreur de branchement. La pédale Wah-Wah de Gilmour aurait été branché à l »envers), puis c’est ensuite le chant fascinant des baleines que l’on semble capter au loin, les sens encore engourdis par cette nouvelle plongée dans les abysses. Le vaisseau descend… descend… et descend encore. Ce sonar, ce « ping » entêtant, comme le battement d’un coeur mécanique rythme cette plongée vers l’inconnu. Mais il semble que dans ces profondeurs quelque chose se passe. L’orgue de Richard vient poser des nappes synthétiques longues et répétitives, puis une ligne de clavier mystérieuse annonce la guitare, cette guitare comme un détecteur de fonds marins, vient de trouver quelque chose, une sorte de paradis perdu au fond des mers. C’est les retrouvailles avec la thématique du début, une reprise du thème principal plus fort, plus lourd comme si la douceur des prémices de la première partie laissait place à l’affirmation de la découverte, la confirmation en musique de la conquête d’un éden vierge de toute souillure. Le final semble évoquer ce passage, aux contours flous, du rêve à la réalité, du désir d’un autre monde à la découverte fascinée de cet ailleurs. Une sorte de chasse au trésor réussie.

Echoes est la dernière chanson de Meddle. C’est également la fin d’une époque. Le psychédélisme des débuts n’est plus qu’un lointain souvenir et les expérimentations tâtonnantes d’Ummagumma, ce trop plein d’expériences sonores et cette créativité débridée lancée sans frein sur vinyle se voient dorénavant avec Echoes pleinement maîtrisées. Toute ces expérimentations que l’on pensait assez vaines auront fini de modeler la texture même du son et du style Pink Floyd. Cette ossature si particulière mêlant électrique, acoustique et synthétique dans une fusion maintenant parfaitement équilibrée.

Meddle – et plus particulièrement Echoes – sera l’achèvement d’une ère, celle d’un proto-Pink Floyd en pleine formation, en pleine évolution et le début d’une époque, celle de la maturité, de la pleine possession de leur art qui portera le groupe au sommet du Rock, sur ce versant si sombre de la lune.

Renaud ZBN

Pink Floyd – Meddle est paru le 30 octobre 1971 chez Capitol Records

3 thoughts on “Pink Floyd – Meddle : Meddle of Honor

  1. Sincèrement magnifique article, à la suite de sa lecture je me suis replongé à l’écoute de l’album, il sont passés de nombre incalculable d’année depuis la dernière fois et là dans la tranquillité matinale aidé par les anecdotes dont l’article est si bien garni, je re-découvre Meddle.
    Merci.

  2. Voici une chronique sérieuse, bien documentée certes mais un peu trop exaltée à mon avis. Car que trouve–t-on dans ce vieux disque ? Eh bien, un long thème appelé « Echoes » dont la première partie est intéressante avant un passage un peu vide façon « berlin-school » avant l’heure et une reprise un peu réchauffée du thème comme dans le précédent aussi long « atom Heart »… , un instru « One of these days » de qualité, rapide, inventif et nerveux et un reste fait de chansons tout à fait banales. Bref, un PF pas très passionnant.

Comments are closed.