Bien qu’il soit peut-être l’un des livres les moins forts de Stephen King depuis des décennies, Conte de Fées reste passionnant grâce à l’intelligence avec laquelle Stephen King intègre les références que tout lecteur aura forcément en tête quand on parle de fantastique ou de… conte de fées !
Avec plus d’un livre écrit chaque année depuis son apparition explosive dans le monde de la littérature fantastique (c’était en 1974 avec Carrie, et depuis, on compte plus de soixante-dix ouvrages, romans, recueil de nouvelles ou essais, publiés sous son nom ou celui de Richard Bachman !), il est logique que Stephen King, malgré une inspiration qui semble intarissable, aille régulièrement se ressourcer dans d’autres genres : après la Fantasy avec la série de la Tour Sombre, il a approché le roman psychologique, et développe régulièrement des romans policiers depuis quelques années, à l’image de son dernier livre en date, Billy Summers. Conte de Fées, comme son titre l’indique sans aucune ambigüité, le voit explorer et tenter de moderniser le… conte de fées. On nous rétorquera qu’on n’est jamais loin ici de la Fantasy, ce qui n’est pas faux, bien entendu, mais il y a de la part du « maître de Bangor » la volonté d’aller chercher les thèmes de son dernier pavé (plus de 700 pages !) plutôt du côté des Frères Grimm que de Robert E. Howard ou Tolkien.
Conte de Fées nous raconte la découverte par un jeune américain « ordinaire » la découverte d’un monde « parallèle », auquel on accède via un puits caché dans la remise condamnée de la propriété d’un vieil homme solitaire, et sa transformation progressive en « prince charmant », avec cheveux blonds et yeux bleus, seul capable de délivrer une reine et son royaume accablé par une terrible malédiction. En soi, l’histoire n’est pas excessivement originale – surtout de la part d’un auteur dont on connaît l’imagination incroyablement fertile – et on aura droit au fil de notre lecture à pas mal de clichés inhérents au genre : les animaux qui parlent, les loups qui rôdent, l’énorme criquet qui règne sur le monde des insectes, le méchant frère au sein de la famille royale qui se venge de ne pas être aussi beau que le reste de sa famille, etc. etc. On croisera même dans Conte de fées une sirène, et un dragon !
Et Stephen King est bien conscient des limites de l’exercice, mais également du fait que ses lecteurs d’aujourd’hui ont été nourris de références foisonnantes, qui vont inévitablement colorer leur lecture et leur interprétation. Pour la première fois, il intègre ces références – littéraires ou cinématographiques – dans son récit : le protagoniste principal, comme tout adolescent de son âge (bon, il a 17 ans, et est quasiment un adulte) commente ce qu’il voit et ce qu’il découvre par rapport à sa culture : en partant de Lovecraft (dont l’ombre plane sur de nombreuses pages ici, en particulier dans la description de la ville maudite ou du combat final contre un Mal abominable, régulièrement comparé à Cthulhu ), Poe, Stoker, Mary Shelley et en en arrivant à Disney (logiquement, même si Disney sert clairement de « repoussoir » à King) et même Miyazaki, on est dans un tourbillon de citations ! Comme si King savait – et il a sans doute raison – que plutôt que de décrire par le menu son univers et ses créatures fantastiques, il suffit de citer un ouvrage ou un film que tout le monde connaît pour que le lecteur comprenne de quoi il retourne ! Et cette reconnaissance implicite de la difficulté de renouveler un imaginaire déjà solide, grâce à des dizaines de grands auteurs qui ont déjà tout créé, confère à Conte de Fées un aspect « post-moderne », décalé / distancié, ou tout au moins mélancolique, qui équilibre l’habituelle énergie dont font preuve les protagonistes de l’histoire.
Conte de Fées démarre magnifiquement, ce qui ne surprendra aucun fan du maître, avec une première partie se déroulant dans notre monde, où King fait brillamment la chronique de l’adolescence difficile de son personnage, suite au décès de sa mère, puis de sa rencontre avec un vieil homme vivant reclus dans une maison ressemblant à celle de Psychose (ah oui, Hitchcock est également une référence incontournable !). Il se conclura très efficacement dans une dernière partie remplie d’action et de suspense, consacrée à la confrontation violente entre le Prince (charmant, donc…) et les forces obscures surgies de ténèbres innommables, mais surtout de la haine la plus ordinaire (car King reste un humaniste de gauche, et on peut lire en filigrane son inquiétude vis-à-vis de la montée des idées d’extrême-droite). Le problème de Conte de Fées est sa partie centrale, où l’univers que King a créé semble tellement fait de bric et de broc qu’on a du mal à y adhérer, sans même parler de véritablement y pénétrer : il y a, ce qui est rare chez l’auteur, quelques centaines de pages assez ennuyeuses dans Conte de Fées, il faut bien l’admettre !
L’expérience tentée ici par Stephen King n’est donc pas totalement concluante, et Conte de Fées est probablement l’un de ses livres les moins forts depuis longtemps. Pourtant, on le referme rempli d’admiration pour l’audace et la créativité d’un auteur qui, d’année en année, continue à nous surprendre.
Eric Debarnot