Sur le nouvel album du dandy Baxter Dury, d’un seul coup, on ne rigole plus, on se prend en pleine face la tristesse et la douleur d’un artiste marqué par une enfance difficile et qui se sent prisonnier par la célébrité de son père. C’est triste, mais, heureusement, ça reste très beau…
Baxter Dury est un dandy, tout le monde le répète à chacun de ses nouveaux albums. Mais un dandy punk, mi-Gainsbarre, mi-Johnny Rotten : même si la violence de la forme musicale a été remplacée par une violence verbale, habilement dissimulée derrière une tonne d’humour comme les Anglais savent merveilleusement le faire, nul aujourd’hui – même pas Sleaford Mods sur un terrain pas très éloigné de celui de Baxter – n’a la dent aussi dure quand il s’agit de pointer l’horreur de la vie moderne, et les lâchetés dont nous nous rendons tous coupables. Bien entendu, plus qu’à la politique, Baxter Dury s’intéresse à l’âme humaine, et c’est sans doute pour ça qu’il crache sa bile sur des mélodies suaves, portées par des grooves lascifs, et entouré de voix féminines délicieuses : il sait qu’au XXème siècle, il faut nous séduire d’abord, pour pouvoir nous toucher et nous convaincre ensuite. Et puis, en bon maître de l’humour anglais, il sait qu’il vaut mieux se moquer de soi-même, se ridiculiser, faire rire les autres à ses dépends plutôt que de rire des autres : c’est ainsi, en douceur et en douce, que passent « les messages » les plus virulents.
I Thought I Was Better Than You, le nouvel album de Baxter Dury, est néanmoins un disque de rupture nette avec tous ceux qui ont précédé. Même si le texte marketing accompagnant l’album parle d’une nouvelle « persona », avec un bullshit du genre « faux-confrontational », il est avant tout question ici – et c’est la première fois qu’il le fait de manière aussi ouverte – de Baxter lui-même. Et de son rapport difficile avec son célèbre géniteur, Ian Dury, dont il a toujours voulu se distinguer, mais avec lequel il a le malheur de partager un timbre de voix très similaire. Un père punk, handicapé par une polio qui plus est, et un songwriter célébré, qui a brûlé la vie par les deux bouts et ne s’est apparemment guère occupé de son fils, qui a de ce fait vécu à la fois une vie d’aisance et de total isolement.
Il suffit d’écouter ce que raconte Baxter sur Leon : « Why am I condemned because I’m the son of a musician / Because I don’t wash or you think I’m too posh / … / Fuck you Leon you stole the sun glasses and I got busted / .. / I’m afaid we cannot contact your parents / Ok sit in this damp cell and don’t you say whеre fuckin Leon Is » (Pourquoi suis-je condamné parce que je suis le fils d’un musicien ? / Parce que je ne me lave pas ou que tu penses que je suis trop chic ? / … / Va te faire foutre Leon, tu as volé les lunettes de soleil et je me suis fait choper ! / .. / « J’ai peur qu’on ne puisse pas contacter tes parents / Ok assieds-toi dans cette cellule humide et ne dis pas où est Leon … ») ? Baxter lui-même parle à propos de cette chanson « d’un récit plus ou moins factuel de ce qui s’est passé lorsque Leon – mon horrible camarade de classe – et moi avons volé des lunettes de soleil à Boots, sur Kensington High Street, au milieu des années 80. La réaction de la police et le manque de parentalité semblent maintenant choquants depuis que je suis devenu moi-même père. » Il en a gros sur la patate, Baxter, et sur cet album, pour la première fois, il délaisse son habituelle ironie, son second degré brillant, pour affronter sa douleur.
Quant à la forme musicale, elle change notablement sur I Thought I Was Better Than You : sans aucune pudeur, l’animal vire RnB, hiphop et toute la clique. Il veut être Frank Ocean, il l’admet dans Shadow, mais il est maudit, définitivement, par l’ombre gigantesque de son père : « No one will get over that you’re someone’s son / Even though you want to be like Frank Ocean / But you don’t sound like him, you sound just like Ian. » (Personne n’oubliera que tu es le fils de quelqu’un / Même si tu veux être comme Frank Ocean / Mais tu ne sonnes pas comme lui, tu sonnes comme Ian).
Cependant, la plus grande rupture n’est finalement pas celle du « genre musical », finalement peu important – car tout cela reste du pur Baxter Dury, et même du meilleur avec une poignée de mélodies merveilleuses ! -, c’est plutôt la tristesse, l’émotion qui se dégagent de la majorité des morceaux de l’album.
Il est possible donc que I Thought I Was Better Than You soit moins bien reçu par le grand public que ses prédécesseurs, mais dans tous les cas, il semble qu’il constitue une étape-clé dans la carrière de Baxter lui-même. Et qu’une fois « débarrassé » de tout ce fardeau, sa musique puisse s’élever et atteindre de nouvelles hauteurs.
Eric Debarnot