Du headbang à vous faire courber l’échine et des frissons pour vous la redresser : c’était ce qu’il y avait au menu de la cinquième édition riche en émotions du festival Post in Paris.
Le week-end de la Pentecôte était chargé pour le rock en France, entre le Levitation à Angers et le Post in Paris. Le choix était corsé, mais une chose est sûre : personne n’a regretté d’avoir jeté son dévolu sur le festival parisien. Le Post in Paris, c’est un rendez-vous d’initiés qui ne se connaissent pas mais se reconnaissent à leurs t-shirts. Deux jours durant, un défilé d’hommages à toutes les grandes et moins grandes têtes du post-, prog- et autres joyeux préfixes au rock s’est tenu sur le quai de Seine qui, les beaux jours arrivant, a pris des allures de guinguette un peu bobo. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien dans la cale de Petit Bain et celle de la Dame de Canton que nous a donné rendez-vous la programmation exceptionnelle de cette cinquième édition.
Ce sont les Belges d’Endless Dive qui ont ouvert le bal, et ils ne pouvaient pas mieux donner le ton au weekend qui s’annonçait. Des guitares abrasives, du fuzz et un climat tempêtueux, mais de larges sourires et un bonheur partagé entre artistes et public d’être rassemblés ici, et déjà en grand nombre, pour célébrer la puissance du rock et surtout de ses déviances. Il porte bien son nom, ce jeune quatuor à la force de frappe diluvienne, oscillant entre délicates introspections lumineuses et descentes explosives au cœur d’un abîme bruyant dont on ne sortira d’ailleurs jamais vraiment de tout le week-end. Leur set est très équilibré, et c’est ce que l’on notera pour chacune des performances ce weekend : le format est court, et permet, plus que ne contraint chacun des groupes de faire valoir leurs meilleures qualités sans se perdre en longueurs.
Après avoir émergé des profondeurs d’Endless Dive et de la pénombre de Petit Bain, direction la Dame de Canton et le shoegaze de Cosmopaark. Le trio bordelais, très en vogue sur la petite planète du shoegaze français s’améliore à chaque passage, et malgré le son moins optimal de la Dame de Canton et la chaleur étouffante de la petite cale, il parvient avec brio à la faire tanguer – littéralement – au moyen de guitares chargées en fuzz et de chants aériens à souhait. Une fois encore, la bonne humeur est de mise, y compris quand Simon se retrouver à devoir changer en direct la corde de Mi de sa basse (c’est dire la force de jeu du type) !
Sortir du four qu’est la Dame de Canton, prendre un instant le soleil et s’engouffrer à nouveau dans l’obscurité, voilà le rythme imprimé par tous les festivaliers du Post in Paris ce weekend. Lost in Kiev a ainsi pris le relais à Petit Bain. Mettant largement à l’honneur leur dernier album, le groupe nous a offert ce qu’il fait de mieux, laissant la part belle aux synthés et à la basse : une messe post-rock avec tout ce qu’elle a de plus cathartique, augmentée de l’arrivée surprise de Loïc Rossetti (The Ocean) sur le titre Prison of Mind.
Après un nouveau passage par la chaloupe voisine et le post-rock onirique des Lyonnais de Where Mermaids Drown, c’est au tour de Lysistrata, très attendu ce jour-là, de prendre place sur la scène de Petit Bain. Les trois amis le disent eux-mêmes, leur dernier passage par la capitale remonte, et la salle est bien entendu pleine à craquer pour acclamer l’un des groupes de rock français les plus talentueux de nos jours. Interprétant presque exclusivement des nouveaux morceaux (il faut dire que leur dernier album commence à dater), le trio a scotché son public avec un jeu toujours aussi incisif et précis, et c’est l’occasion de rompre avec les headbangs passifs pour se frotter un peu à la fièvre de pogos électriques et électrisants. Bref, il nous avait manqué.
Gare à ceux qui pensent être rassasiés à ce moment-là, car le crochet vers la Dame de Canton est impératif pour y voir Péniche retourner le petit navire [insérer toutes les blagues navales entendues ce jour-là]. Plus survolté que jamais, le trio était bien décidé à montrer comment on fait le rock à Tours à des Parisiens bouillonnants (la température de la salle devenue serre équatoriale y est sûrement pour quelque chose). Tous les trois terriblement talentueux, on ne peut pas dire que l’un se démarque des autres, car ni Axel qui excelle autant dans l’humour qu’à la batterie, ni Lucas et ses solos enfiévrés, ni Léa et sa basse aussi percutante que son franc sourire ne bat en retraite avant que d’avoir définitivement enflammé la Dame de la Cantine. Tenez-vous prêts, car ces trois-là n’en ont pas fini de faire chavirer vos oreilles.
Ce sont enfin les Suédois de EF qui ont clôturé le premier jour des festivités. Seul groupe non francophone de cette édition, c’en est aussi, avec un peu moins de vingt ans d’ancienneté, le groupe « vétéran ». Violoncelle électrique, claviers, guitares et lights disposées à la Sigur Rós donnent le ton à la dernière performance de la soirée. Riche en envolées émouvantes et en arrangements grandioses, le post-rock emblématique d’EF nous offre une dernière ascension poétique.
Chapeau par ailleurs, à l’organisation déployée par Take Me Out car tout s’enchaînait à merveille. De 17h à 23h30 s’alternaient avec efficacité les sept groupes programmés, nous laissant dix minutes de battement pour changer de navire, attraper un verre, et replonger dans l’une ou l’autre des cales. Il fallait néanmoins faire preuve d’une certaine endurance le samedi pour tenir le cap tout au long d’un line-up chargé impliquant moult questionnements : siroter sa pinte au soleil, ou bien profiter de chacun des concerts ? Rester jusqu’à la fin de chaque groupe ou s’éclipser un peu avant pour s’assurer une place correcte au suivant ? Oui, cornéliens ces dilemmes. Il n’empêche que dans l’ensemble, on aura pu profiter de chacune des performances, et il n’y avait décidément pas un moment pour s’ennuyer.
Le second jour du festival s’annonçait plus lourd, car convoquait le penchant plus métalleux du genre. On retrouve ceux de la veille, avec des cernes plus ou moins prononcées, selon qu’ils soient restés festoyer minuit passé, et d’autres têtes, celles venues communier avec la puissance brute des groupes programmés le dimanche. C’est d’ailleurs le post-métal de Death Engine qui ouvre la marche, et si le soleil brille avec plus de vigueur encore qu’hier au dehors, dans les tréfonds de Petit Bain, pas un rayon de lumière ne filtre au travers de l’épaisse densité sonore, apocalyptique et headbang-friendly du quatuor. Le ton est donné, on creuse cette fois-ci non plus dans les franges atmosphériques des genres expérimentaux du rock, mais dans celles dotées d’une force plus tellurique et vindicative.
A ce titre, la palme de la découverte du jour revient à Bank Myna, pour qui la scène de la Dame de Canton se révèle bien étroite, tant il déborde d’instruments et d’inventivité. On pourrait vous parler de « drone ambient », de « dark prog » ou autres joyeusetés, mais la musique de Bank Myna doit être vécue avant d’être lue. Archers sur violon et basse, horloge érigée en pedalboard, et autres instruments homemade sont ce que l’on pouvait observer sur scène, mais il valait mieux fermer les yeux et se laisser emporter par la voix envoûtante de la chanteuse, les secousses du navire et celles d’une magnifique litanie ininterrompue.
La suite de l’après-midi laisse place aux expérimentations à la fois brutes et torturées de la formule post-métal instrumentale de SaaR. La basse est au premier plan, les riffs sont surpuissants, mais somme toute l’ambiance n’est pas sinistre : ils nous racontent qu’eux-mêmes ont fait partie de l’organisation du Post in Paris Festival, et sont profondément heureux d’être là sur scène, à partager ce moment avec un public bienveillant rassemblé autour de valeurs et de passions communes.
Ce sont leurs comparses de Maudits, avec qui ils ont réalisé un split, qui prennent le relais sur la barge voisine pour une version plus ambient de ce que nous ont présenté SaaR, avant de laisser la main à Yarotz à Petit Bain. L’appellation « powertrio » prend tout son sens avec un groupe de cette trempe, où l’on ne sait pas dire qui du batteur, du bassiste ou du guitariste délivre le plus d’énergie. Mieux valait avoir les cervicales accrochées pour tenir le coup dans une foule électrisée par la brutalité et la fureur du trio.
Si la palme de la découverte a été attribuée à Bank Myna, c’est parce qu’Arhios ne nous est pas inconnu depuis la sortie de son excellent premier album Miscible. Or, sa performance a conquis tous les curieux qui se sont rassemblés une dernière fois à la Dame de Canton, malgré une horaire délicate car placée juste avant Birds in Row. Grand bien leur fasse, car il ne fallait pas rater l’ascension salvatrice que nous a offert le trio rennais. Peu de morceaux, car tous franchissent la barre des cinq minutes et alimentent le récit salvateur de l’odyssée d’Arhios. Les trois musiciens, intimement dévoués à leur musique, sont ceux qui ont fait jaillir la lumière ce jour-là, déliant corps et âmes dans un torrent de sonorités innovantes.
Mais la soirée n’est pas terminée, et cette cinquième édition du festival Post in Paris ne pouvait pas mieux s’achever qu’avec Birds in Row, situé à la croisée de tous les genres plébiscités ce weekend. Le trio suscite un engouement particulièrement vif depuis la sortie de Gris Klein à la fin de l’année dernière, et pour cause : cet album met tout le monde d’accord. Petit Bain est donc plein à craquer et trépigne d’impatience, mais n’est pas clairement pas prêt à se prendre la claque que vont lui asséner les trois musiciens lavallois. Il fallait être là pour le voir, le vivre, le ressentir jusqu’aux tripes.
Birds in Row est bouleversant de brutalité et d’authenticité, Bart exulte à la guitare et au chant où il est rejoint par moment par la puissante voix de Quentin Sauvé qui, lui, s’embrase à la basse. Du chant oui, car le screamo de haut-vol laisse aussi place à des lignes que le public connait par cœur et entonne avec force. Un changement de caisse claire inopiné n’arrête pas Joris, monstrueux à la batterie, ni le concert de reprendre avec toujours plus d’intensité. Dans la fosse, les corps se désinhibent, les cœurs s’arrachent. On hurle sa peine, mais aussi sa joie, celle de vivre un tel moment à la frontière du réel. Parfois les mots ne suffisent plus. L’expérience est paroxystique, jouissive et à l’image d’un festival à l’atmosphère si particulière et bienveillante.
« Merci d’être parisien et d’être cool » nous dit Bart, et il n’y a finalement pas de mots plus justes pour décrire le festival Post in Paris.
Texte : Marion des Forts
Photos : Christophe Duru
Bonsoir ou bonjour c’est selon !
On ne dit et on n’écrit pas du headbang mais du headbanging
https://en.wikipedia.org/wiki/Headbanging
Additif : même remarque pour « powertrio » qui est lui aussi mal orthographié
https://en.wikipedia.org/wiki/Power_trio
Bonjour à vous,
je réitère mes observations : 1 on n’écrit pas du headbang mais du headbanging et pas non plus « powertrio » mais power trio !
Bien à vous.
@Sylvie PENTEL
Coucou, vous tombez bien, j’ai un CAPES d’anglais et un master sur le sujet. Pour « headbang », si l’on devait effectivement se fier à Wikipedia, vous noterez que la page française sur le sujet admet les deux formes. C’est parce que la désinence -ing, est bien plus qu’une simple règle d’écriture. Le sujet fait d’ailleurs encore débat dans les sphères académiques. En français courant, on vous dira plus souvent « yo, je fais du breakdance » que « how do you do, je pratique le breakdancing ». Pourtant, c’est exactement le même cas de figure. La seule différence étant que la danse de tête métal est moins admise dans le cercle classique et qu’on aurait tendance à dire « headbanging » en anglais, pour signifier qu’il s’agit d’une activité parmi un groupe donné, plutôt que d’une condition médicale qui conduirait à osciller du front. Pourtant, le terme est quand même formé à partir de « head » et « bang », ce dernier étant utilisé dans sa forme verbale, avec un infinitif sans -ing, donc. Or, le chapeau d’article dit bien « DU headbang ». On peut donc arguer que la formulation se rapporte au mouvement, à la danse en question plutôt qu’à l’activité au sens large ou au concept de la chose. Autrement dit, ce serait ici une morphologie appropriée.
En ce qui concerne « power trio », même s’il est vrai que le terme prend communément un espace, à partir du moment où c’est entre guillemets et où la langue de l’article est le français… J’aurais tendance à dire que l’entorse effectuée par ma collègue est très négligeable. Cela reviendrait à débattre de la prononciation du fameux « et cetera ». La plupart des gens prononcent « éksétéra »… mais n’est-pas plutôt « ètsétéra » ? Hum hum.
C’est noté. Merci pour votre érudition !