Quand une jeune femme se trouve aux prises de l’Histoire, sans l’avoir voulu, sans l’avoir cherché, juste parce qu’elle a voulu manger un steak. Un roman d’aventure, plein de sentiments confus, qui nous parle des femmes et de la culpabilité. Et un peu des nazis aussi.
Mars 1959. Solange Tailleraut, jeune (elle a 22 ans) traductrice trilingue, est embauchée par une grande entreprise de BTP française, une de ces entreprises qui couvre le monde d’ouvrages d’art, œuvrant ainsi au développement économique et à la création de richesses sur la planète. Solange est sûre d’elle professionnellement – « Une traductrice, et la meilleure qui soit ! Voilà pour qui je me prends ». Mais aussi sûre de ses capacités humaines et personnelles. Quand elle décide de coucher avec un de ses patrons – si jeune, si charmant, si séduisant, si brillant, mais aussi si goujat et si veule –, elle est aussi capable de lui résister et arrive à le plaquer quand elle se dégoûte d’avoir aussi facilement cédé à la tentation. Nous sommes en 1959, et on pourrait dire de Solange qu’elle est une femme moderne – si cela n’avait le défaut de sous-entendre qu’il n’y avait pas, en 1959, de femmes capables de se dégoûter parce qu’elle couchait avec leur patron, un homme marié, et chef de famille… Solange n’a pas les deux pieds dans le même sabot, ce n’est pas une cruche qui se laisse faire. C’est tout.
Mais elle manque un peu de sens du timing. Ou alors de chance. Plaquer son amant de patron est une bonne chose. Mais le début d’un voyage d’affaires, quand Solange et son patron sont partis négocier un gros contrat en Argentine n’est pas franchement le meilleur des moments (y a-t-il un mauvais moment pour retrouver sa liberté ?). Quoi qu’il en soit, Solange se retrouve seule et avec du temps pour se promener en ville. Elle découvre un restaurant, alléchant, y rentre, s’y installe pour dîner. Là encore, mauvais timing, mauvais choix. En poussant la porte du Mirando, Solange se retrouve mêlée à la grande Histoire. Celle de la chasse aux nazis qui a suivi la seconde guerre mondiale ; on ne dévoile rien, la superbe (comme toujours chez La Manufacture de Livres) couverture du roman est assez explicite à ce sujet. Ce qui fait de La faute de la traductrice une sorte de Fleuve Noir – Série Engrenages sur-vitaminé. Il y a de l’ambition, de l’amour (et de la haine), des frissons et des sueurs froides, de l’ambiguïté et de la confusion. Il y a aussi de beaux paysages (comme dans les précédents romans de Dominique Forma, Albuquerque et Manaus). Et tout cela est écrit dans un style sec et propre, sans fioritures inutiles. Un roman qui se lit rapidement, d’une traite, avec plaisir. Une confusion de sentiments aussi intéressante que l’intrigue qui se noue.
Intrigue, ou intrigues plutôt. La faute de la traductrice raconte plusieurs histoires. Celles de nazis qui rêvent d’un quatrième Reich, qui sont persuadés qu’Hitler n’est pas mort et qui font tout pour lui redonner le pouvoir. Celle d’un homme, le patron de Solange, qui se croit un peu tout permis parce que c’est un homme, qu’il est jeune et beau et intelligent, mais aussi très lâche dès qu’une femme lui résiste (cette manie de se comporter de manière puérile dans les bras d’une femme). Et celle d’une jeune femme qui veut faire carrière dans les années 50/60 et qui a quelques obstacles majeurs à contourner. Solange ! Solange, qui commet plusieurs « fautes », pour reprendre le titre du roman qui s’enchaînent de manière funeste. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur l’utilisation du terme de « faute », pourquoi y aurait-il une faute ? Et pourquoi serait-ce celle de la traductrice ? Pourquoi faudrait-il que ce soit la faute de quelqu’un ? Et pourquoi serait-elle, elle, coupable de quelque chose ? Comme si elle était ramenée à ce péché originel, comme si elle était une sorte d’Ève du 20ᵉ siècle, qui avait mangé un fruit défendu, et était sortie du paradis et pour se retrouver dans l’enfer du 20ᵉ siècle post deuxième guerre mondiale. Non, Solange, tu n’as pas commis de faute. Et tu n’es pas coupable !
Alain Marciano
La faute de la traductrice
Auteur : Roman de Dominique Forma
Éditeur : Métailié
208 pages – 16,90 €
Parution : 1er juin 2023
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