On ne voit pas assez souvent de séries TV portugaises pour ne pas accueillir avec bienveillance et intérêt Pêche Interdite, qui arrive à sortir des sentiers battus de son sujet stéréotypé grâce à la beauté des Açores et à des personnages passionnants.
En France, la nouvelle série portugaise de Netflix s’appelle Pêche Interdite. Pour les pays anglophones, Turn of the Tide (« Changement de marée »). Son titre original, Rabo de Peixe, signifie « Queue de Poisson » : si les trois titres sont relativement pertinents par rapport au sujet de la série d’Augusto Fraga, on peut, comme souvent, préférer celui-ci, qui est à la fois le nom du pauvre village de pêcheurs dans les Açores où survivent les quatre « héros » de l’histoire, et une jolie figuration de l’impasse dans laquelle ils sont enfermés. Si comme la voix off (parlant un étrange mélange de portugais et d’anglais, avec l’accent américain, on comprendra pourquoi plus tard…) nous l’explique dès les premières images, les Açores sont le point le plus pauvre de toute l’Europe, les quatre personnages principaux sont particulièrement mal lotis.
Eduardo rêve de l’Amérique, où il pense pouvoir accéder à une vie meilleure, mais il doit s’occuper de son père aveugle et dévasté par la mort de son épouse, alors que le manque de ressources financières retarde l’opération qui lui rendrait la vue. Carlinhos, gay flamboyant (sans doute le personnage le plus épatant de la série), doit s’imposer chaque jour sur une île où les mentalités ne sont, logiquement, pas les plus progressistes. Rafael a été le champion de foot local, mais cette gloire éphémère est loin derrière lui, et depuis, il végète dans une médiocrité déprimante. Silvia, petite amie de Raphael, gérante du vidéo club local (« MERICA », le A de néon de l’enseigne étant grillé !), a été abandonnée par son père truand et vit avec une mère difficile. Un jour, ces quatre amis, qui ne s’imaginent un avenir que loin de leur île, tombent sur une énorme quantité de drogue échouée sur la côte après le quasi-naufrage d’un yacht appartenant à la mafia italienne. Ils voient cette découverte comme la solution à tous leurs problèmes, décident de la garder et de la revendre, ce qui va, évidemment, déclencher une réaction en chaîne de plus en plus catastrophique. Et de plus en plus en plus destructrice.
On réalise bien, à la lecture de ce résumé du point de départ de Pêche Interdite le déséquilibre criant entre des personnages complexes, intéressants, exprimant un mal être profond aux racines tant économiques que culturelles, et une intrigue policière usée, vue et revue, qui ne bénéficiera que d’un cadre inhabituel, mais absolument superbe, celui des Iles des Açores. Cette dichotomie est perceptible tout au long des 7 épisodes de la série, qui alterne des scènes convenues d’action, de suspense, de tension, pas très intéressantes pour tout dire, et surtout truffées d’invraisemblances frôlant la bouffonnerie, et des moments réflexifs, intimistes, où la vérité humaine des personnages se révèle passionnante, voire bouleversante. Bref, derrière une série moyenne, qui tire sans vergogne sur les cordes du spectacle exagéré, à la Tarantino (le premier épisode s’avère d’ailleurs assez rebutant sur ce point), il y a potentiellement un beau film qui essaie d’exister. Après un dernier épisode particulièrement calamiteux, sans rime ni raison, on sort de Pêche Interdite en essayant de ne se souvenir que de ces moments miraculeux où le désespoir des personnages s’est matérialisé sans abus de mots, ni d’effets cinématographiques (même si la musique gagnerait à être plus discrète…).
Si tous les acteurs ne sont pas excellents en permanence, il y a assez de beaux moments où le talent de chacun peut s’exprimer et éviter les stéréotypes proposés par le scénario : on appréciera particulièrement l’énergie positive et le charisme d’André Leitão, qui crève littéralement l’écran à chacune de ses apparitions ; on savourera aussi la finesse du jeu de Maria João Bastos et de Salvador Martinha, qui forment un beau « couple » mal assorti d’enquêteurs, menant la série à la frontière de la comédie romantique, et contrebalançant avec délicatesse les excès des bandits caricaturaux (les personnages du mafieux italien aussi bien que du psychopathe açoréen souffrent d’une accumulation de clichés).
Sans être une réussite complète, Pêche Interdite nous offre suffisamment de moments touchants ou charmants pour qu’on accepte de bonne grâce la perspective d’une seconde saison, poursuivant une histoire qui ne se referme pas vraiment à la fin du septième épisode.
Eric Debarnot