Chaleur et menace d’orages sur Paris en ce samedi soir : même météo à l’intérieur du Café de la Danse, où Elysian Fields activaient leur habituelle magie sur des spectateurs conquis d’avance…
Est-ce parce qu’ils sont passés à Paris il y a seulement un an (avec un concert intimiste chez Life is a Minestrone et un set à l’Archipel), mais les places pour assister au concert d’Elysian Fields ont eu du mal à se vendre. Et puis la chaleur estivale qui a envahi la capitale a dû faire fuir les moins courageux vers la fraîcheur… Mais peu importe finalement, au moins pour nous, car le public fidèle est là, qui va garantir un échange émotionnel de qualité entre Jennifer et nous… en dépit de la température élevée qui règne dans la salle non climatisée…
20h05 : « On s’appelle Beau Catcheur et on va vous interpréter dix chansons du groupe américain The Stooges » : une annonce qui décoiffe ! Mais comme c’est l’inénarrable Fred Poulet, adepte de l’oulipo, qui la fait, on sait qu’on doit s’attendre à tout. Beau Catcheur, c’est l’ami Fred à la voix et sa complice Sarah Murcia au violoncelle et au chant. Les morceaux des Stooges, principalement extraits de leur premier album – de Real Cool Time récité en ouverture et fermeture du set au sépulcral We Will Fall – sont radicalement déconstruits et offerts en pièces détachées, dans une démarche à la fois conceptuelle et humoristique.
Du côté provocation surréaliste, nous avons droit à Lucie, chien articulé en peluche, pour évoquer le célébrissime I Wanna Be Your Dog, ou, lorsque le riff bien reconnaissable de Ann risquait de conférer au set une touche vraiment rock’n’roll, à Fred marchant à 4 pattes sur un rouleau de papier qui se déroule devant lui et se réenroule derrière… Et puis à « No fun, my babe » qui devient « Pas d’amusement, mon bébé », récité à un baigneur en plastique. Et encore à Fred qui « se jette » dans la foule, ou plutôt se laisse tomber dans les bras de deux amis au premier rang (ils en seront remerciés à la fin de la chanson), dans une parodie molle de l’outrance de l’Iguane… Doit-on en rire ? Mais dans ce cas, la plaisanterie aura duré un peu trop longtemps…
Reste ce paradoxe que derrière la dérision, les immenses chansons des Stooges résistent vaillamment (TV Eye / Loose, Dirt, 1969, Search and Destroy à la fin)… Une première partie qui a clairement divisé le public, mais qui a eu l’avantage de nous changer de l’ordinaire.
21h : La musique de Nino Rota, composée pour le film de Fellini Il Bidone, sert d’introduction au set de Jennifer Charles et Oren Bloedow, qui jouent ce soir en format groupe, avec l’aide précieuse de deux musiciens locaux (on y reviendra). Curieusement Elysian Fields n’apparaitront pas quand la musique se terminera, et il faudra attendre un peu encore. Toute la soirée sera l’occasion de petits ratés de ce genre, sans aucune conséquence, et finalement bien sympathiques, conférant au set un aspect amateur agréable : c’est pourtant le tout dernier concert d’une tournée européenne conséquente…
On attaque dans la suavité et le mystère par le divin Where Can We Go But Nowhere : Jennifer, vêtue d’une robe blanche champêtre, reste toujours aussi fascinante, et se montrera particulièrement souriante ce soir, savourant visiblement l’amour que lui renvoient les spectateurs (aucune protestation cette fois contre les photographes, d’autant que chacun, conscient du rejet habituel de cette pratique par Jennifer, fera très attention à ne pas la déranger). Sa voix est toujours aussi belle, et confère une légèreté surnaturelle à bien des chansons, comme s’il s’agissait à chaque fois de perpétrer un tour de magie (noire ?) pour ensorceler les spectateurs…
Comme anticipé, la setlist est principalement consacrée aux chansons de Once Beautiful Twice Removed, puisque huit titres sur douze en seront interprétés : nul ne s’en plaindra (hormis les quelques accros à la nostalgie qui réclameront de temps en temps une vieille chanson…), vu la qualité de ce dernier album. On notera que les deux musiciens de tournée, tous deux français, le bassiste Mathieu Lopez (du Delano Orchestra, donc ancien collaborateur du grand Murat) et le batteur Olivier Perez, apportent à Elysian Fields un ancrage « rock » qui permet à Oren Bloedow de nous offrir de superbes passages de guitare saturée, comme par exemple sur l’accrocheur Tidal Wave, extrait de l’album Pink Air, petit moment de headbanging (léger, quand même…).
Jennifer et Oren nous présentent deux nouveaux titres prometteurs, Something Else et Strange Magic. Le menaçant Let It Spin Out, et ses guitares cinglantes, puis le très noir et très électrique Like Family (« Nobody, nobody / Can break your heart / Like family » !) referment le set dans une tonalité plus Rock.
55 minutes seulement et c’est déjà le rappel. Mais Jennifer Charles nous réserve une magnifique surprise, un hommage à Murat – avec lequel elle a collaboré, rappelons-le : deux chansons, les superbes Jim (sur Mustango) et surtout Petite Luge (extraite de leur album en commun, Bird on a Poire). C’est à tour de rôle que le bassiste et le batteur font la voix masculine, sur laquelle Jennifer ajoute la sienne, avec une émotion évidente. Gageons que nous venons d’assister au plus bel hommage à Murat qui lui ait été rendu depuis sa disparition. Le second rappel revient vers le territoire traditionnellement plus calme du groupe, avec un Dream Within a Dream, tiré de l’album généralement préféré des fans, Queen of the Meadow, et se termine par Packing Boxes (non sans qu’Oren ait failli sortir de scène, croyant le concert terminé !), qui est aussi la conclusion touchante du dernier album.
Finalement, le set aura duré 1h25 au total, et tout le monde se réjouit d’une soirée parfaitement réussie, avec plusieurs instants de véritable magie… en dépit de la chaleur élevée qui régnait au Café de la Danse, et qui aura gâché pour certains le plaisir d’un concert aussi délicat.
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil