En adaptant les Gouttes de Dieu, un manga célèbre et réputé inadaptable, cette luxueuse coproduction internationale relève correctement un pari difficile, mais sans égaler sa source d’inspiration. Reste le plaisir de parler et d’entendre parler du vin, pas si fréquent que ça…
Les Gouttes de Dieu est à l’origine un manga de Tadashi Agi et Shu Okimoto, qui a pendant 10 ans et au long de 44 tomes, connu un succès historique au Japon, où il a contribué au développement de l’intérêt des Japonais envers le vin. Extrêmement didactique – certains passages sont purement et simplement de véritables cours sur la vigne et les vins -, mais paradoxalement ouvert à toutes sortes de délires conceptuels visant à figurer par l’image dessinée l’expérience olfactive et gustative du vin, les Gouttes de Dieu est une œuvre colossale, certainement impressionnante tant par l’amoncellement de connaissances qu’elle propose que par ses tentatives pour le moins osées de convaincre le lecteur néophyte du sublime de l’expérience œnologique. Au centre du récit, qui sait heureusement prendre régulièrement des chemins de traverse pour explorer la vie familiale et sentimentale de ses héros, se trouve le duel entre les deux fils d’un grand critique du vin, pour recevoir l’intégralité de son héritage : Shizuku, le véritable fils de Kanzaki, est un rebelle sans culture œnologique, tandis que Issei Tomine a été, lui, adopté et est un jeune critique érudit. Tous deux doivent identifier douze vins (les douze apôtres) dégustés à l’aveugle, avant d’être départagés éventuellement en devinant la nature d’un treizième, les « Gouttes de Dieu ».
Inutile de dire que l’adaptation d’une telle œuvre, même avec la longueur qu’autorise un format série, est un énorme défi, et on est forcément curieux de voir comment s’y sont pris Quoc Dang Tran et son équipe, pour cette production franco-américano-japonaise. Et il faut reconnaître que tout cela ne manque pas d’intelligence : d’abord, et cela apporte une vraie richesse aux Gouttes de Dieu, ils ont remplacé le critique japonais par un œnologue français, et son fils par une fille, Camille, toute aussi rebelle que Shizuku. Cette ouverture géographique permet dès lors un va-et-vient passionnant entre la France et le Japon, entre les deux cultures, ainsi que le mélange, d’une grande fluidité, des langues – en y ajoutant l’anglais comme langue internationale : les problématiques et les conflits familiaux sont rendus plus riches, plus pertinents aussi par les ambiguïtés et les antagonismes culturels, et c’est vraiment là un gros, gros point fort de la série.
Quoc Dang Tran a par contre opté pour une simplification radicale de l’histoire avec seulement trois épreuves, ce qui lui confère plus de réalisme mais en réduit dramatiquement la complexité : en évacuant également les aspects pédagogiques du récit, et la plupart des passages oniriques, il y a en outre un effet de trivialisation des Gouttes de Dieu, qui, combinée avec le choix de montrer à l’écran plutôt du luxe et des milieux richissimes, « glamourise » à outrance le monde du vin, et risque d’en hérisser plus d’un.
L’écriture de la série s’avère bonne, même si l’on déplorera la disparition quasi miraculeuse de l’allergie handicapante de Camille vis-à-vis du vin, cette affection spectaculaire, avec saignements de nez et tout et tout, n’étant pas la meilleure idée du scénario. A l’inverse, le fait de centrer le récit sur la « filiation », et tout ce qui, inné ou acquis, se joue entre parents et enfants, est absolument pertinent. De plus, le sujet des abus de pouvoir et de la spéculation financière autour du « Guide Léger », avec la partie « italienne », est bien vu, tandis que le versant purement japonais, avec les rapports difficiles d’Issei Tomine avec sa famille, et sa mère en particulier, est très réussie : tout cela ajoute du poids à l’histoire du duel entre Issei et Camille. En ce qui concerne l’interprétation, on votera plus pour le côté japonais du duel, avec un charismatique Tomohisa Yamashita (déjà entrevu dans un rôle fort dans Alice in Borderland), que pour le côté français, Fleur Geffrier ne nous laissant pas un souvenir impérissable.
En résumé, avec un happy end un tantinet trop satisfaisant, les Gouttes de Dieu s’avère une adaptation correcte d’une œuvre que l’on pensait inadaptable, ce qui n’est pas si mal, d’autant plus que les fictions tournant autour du vin ne sont pas si nombreuses. Admettons que, pour une fois, il aurait sans doute été pertinent de planifier cette histoire complexe sur deux ou trois saisons pour en extraire toute la complexe saveur.
Eric Debarnot