Gregory Le Floch publie chez Rivages (naturellement) Éloge de la plage, miscellanées de textes érudits, légers, évocateurs : à lire les pieds dans l’eau, à la campagne, dans un refuge montagnard voire n’importe où pour se transporter : ne bronzez pas idiot.
Si j’étais libraire, je proposerais une promotion qui associerait Éloge de l’ombre de Tanizaki et cet Éloge de la plage de Grégory Le Floch afin d’éviter les cruelles brûlures liées à cette activité. J’écris cela, car j’en fus, le premier, victime puisque j’ai – comme il se doit – lu une grande partie du livre sur une plage qui m’est très chère (dans une ile pas encore envahie par les estivants). J’avoue ma sympathie pour Gregory Le Floch qui semble être un authentique spécialiste de la position allongée inconfortable et avec qui je partage : « Face à l’immensité de la mer, le cerveau cesse d’être la turbine de tous les jours. Ses pales s’immobilisent – et le vide, aussi vaste que l’océan, entre en nous. Il se dilate et gagne le cerveau. Remplir nos pensées d’un vide colossal, c’est surement l’attitude la plus sage. ».
Je vous rassure, il n’est pas seulement question dans Éloge de la plage de digresser sur la béatitude hébétée du baigneur assommé par le soleil… Car à la plage, on peut écrire comme l’a d’ailleurs fait l’auteur qui n’arrive pas à s’y mettre autre-part comme il le raconte. Gregory Le Floch a dû aussi beaucoup y lire puisqu’il partage avec nous son érudition sur ce lieu idyllique au travers de références historiques, littéraires, musicales (ce n’est pas là où il est le plus pertinent…), poétiques, psychanalytiques. Vous y trouverez quoi qu’il en soit votre bonheur, car tout cela reste léger comme un doux zéphyr qui vient vous sécher quand vous sortez de l’onde.
« Les premiers à fréquenter la plage sont les fous et les névrosés. » nous apprend-il et cela se passait à Brighton au XVIIIe, avant cette date « la plage était considérée comme un « espace répulsif » et effrayant ». Il est vrai qu’on n’y trouvait guère plus « que les corps gonflés ou déchiquetés jusqu’à l’os des noyés ». Mon arrière-grand-mère appelait encore les crabes, dont nous nous repaissions, « mangeurs de chrétiens », nous étions au XXe. Revenons à nos amis anglais qui traitaient donc leurs malades du spleen, leurs frénétiques et autres nymphomanes à coup de bain de mer à moins de 10 degrés…en hiver et en automne, les anxiolytiques n’ont pas que des inconvénients.
Il faudra attendre 1825 pour que la pratique récréative de la plage soit lancée par la duchesse de Berry, activité qui n’était pas sans risque puisque la robe de la dame est « si volumineuse qu’on imagine son poids une fois plongée tout entière dans l’eau. ». L’auteur rappelle que la fille de Victor Hugo, Léopoldine, est morte ainsi noyée dans la Seine entrainée par la lourdeur de ses vêtements, le string n’a pas que des inconvénients.
Gregory Le Floch s’appuie souvent sur l’essai, Sur la plage, de Jean-Didier Urbain qui mentionne justement que « La plage n’est pas un lieu naturel, c’est un lieu inventé », chacun en fait ce qu’il en veut suivant les époques et les cultures, celui qui a un peu voyagé sait que les pratiques sont souvent différentes suivant les continents. On découvre ainsi qu’au début du XXe les plages de Los Angeles étaient très petites et que sous la pression « des élites locales qui veulent profiter des plaisirs de la mer tout en travaillant dans le quartier des affaires. Plus de sept millions de tonnes de sables sont donc déversées sur la côte. » Ceci conduira de facto à la culture du corps qui existe en Californie. L’Éloge de la plage regorge ainsi d’éclairages tout à fait édifiants sur nos pratiques de bord de mer.
Parler de la plage sans le triptyque « sea, sex and sun » aurait été évidemment une faute que nous n’aurions pas pardonnée à l’auteur, n’ayez crainte ce thème est abordé que cela soit au travers des évocations proustiennes, d’autres écrivains, des échappées dans des criques perdues d’iles méditerranéennes, de la baignade d’une nonne (Brûlures de Dolores Prato) ou plus longuement à propos des lieux de dragues homosexuels.
Il est clair que Gregory Le Floch dans son panégyrique littoral n’a voulu oublier aucune muse, il mentionne ainsi le merveilleux film de Rohmer Pauline à la plage mais aussi (dans un tout autre genre) Ursula Andress surgissant des flots dans James Bond contre Dr No ou encore les marines d’Eugène Boudin autour de Deauville et Cabourg.
Le seul bémol à signaler (au sens propre et figuré) concerne son « tour d’horizon musical » … autant le dire tout de suite Gregory Le Floch pourtant né en 1986 (pas un boomer mais quand même) semble ignorer l’existence des Beach Boys (!!!)… Si ses gouts artistiques dans tous les autres domaines ont sûrs, coté musique c’est une véritable catastrophe… Le chapitre commence après une évocation de Niagara sur une citation de Dalida puis une longue liste de chanteuses américaines, toutes plus « mainstream » les unes que les autres « qui surgissent de l’océan, telles des Vénus des temps modernes. » pour conclure par un dégagement sur « Sans contrefaçon » de qui on sait qui est d’après lui « Une façon plus originale d’envisager l’oblique de la plage » (si vous le dites !). Bref, alors que je me baignais paisiblement, je me suis fait salement piquer par une méchante méduse. Gregory Le Floch, on attend mieux d’un amateur de Paul Morand… Faites-vous conseiller la prochaine fois pour la musique (ou gardez secret vos mauvais penchants) car il n’est vraiment pas possible d’avoir de tels goûts quand on est un adepte de La Recherche.
Hormis cette faute de goût, L’Éloge de la plage, est l’ouvrage idéal à glisser dans son sac de plage, son sac de voyages ou à poser sur sa table de chevet, il est agréable d’y picorer, l’écriture est élégante, légère et cela déculpabilisera les personnes qui aiment à se prélasser paresseusement sur les plages… Ils en sortiront plus cultivés.
Éric ATTIC