Parce que nous l’avions manquée lors de son passage à Paris, il nous fallait nous rattraper et voir comment Indigo Sparke transposait sa musique si délicate et ambitieuse à la fois sur scène. A Madrid, les conditions n’étaient pourtant pas des plus favorables…
Ce n’est pas bon signe de ne trouver qu’une seule personne attendant devant la Sala Clamores une demi-heure avant l’ouverture des portes, même en tenant compte de l’habitude des Madrilènes de n’arriver que juste au début du set de l’artiste principal : il est clair que la jeune artiste folk Indigo Sparke, Australienne désormais établie aux USA, ne bénéficie pas encore en Espagne de la même réputation que dans d’autres pays, y compris la France. D’ailleurs, le jeune fan qui est là est originaire de Dublin et nous ravira avec sa passion pour Indigo : on aimerait qu’il y ait ce soir au moins une centaine de gens aussi passionnés que lui. Ce ne sera malheureusement pas le cas…
Quand, à 20h25, GOMZ, artiste sévillan, entame son set solo au piano (alors qu’il affirmera être avant tout un guitariste), nous ne sommes guère plus qu’une quinzaine à être stupéfaits par sa voix divine, et son chant en falsetto qui nous plonge instantanément dans un univers à haute teneur émotionnelle. Si l’on avait lu que GOMZ jouait de l’électro pop, on se trouve en fait devant un artiste composant des chansons classiques, décrivant tous les tourments que peut ressentir un jeune homme de son âge : il nous avouera à la fin de son set de 30 minutes qu’il utilise avant tout la musique comme thérapie, et on réalise que c’est bien l’entière implication de son âme dans ses chansons qui fait que sa musique, infiniment triste – mais très élégante – nous brise le cœur ainsi, avec autant de douceur. Pour cette découverte, nous avons particulièrement apprécié De Cristal, un morceau parlant des relations pendant le Covid, et qui bénéficie de belles poussées lyriques. A noter qu’il reprendra aussi une chanson populaire de Paulina Rubio que tout le monde (enfin, les 15 spectateurs…) reprendra en chœur. Un très beau moment.
Il est 21h05 : le piano a été repoussé au fond de la scène pour laisser de la place à Indigo Sparke qui arrive sans son groupe, malheureusement, mais armée de sa guitare électrique. La taille du public a doublé, ce qui ne fait toujours pas grand monde. On la sent très stressée, et elle nous avoue : « C’est le public le plus petit devant lequel j’ai joué depuis 3 ans, et ça me rend tellement nerveuse. C’est comme jouer devant ma famille… ». On se sent donc obligés de répondre : « Mais on est ta famille ! ». Ce qui ne lui facilite pas les choses : elle reviendra sur cette idée avant la fin de son set en nous racontant : « ça me rappelle quand j’ai joué devant mes parents pour leur annoncer que je n’irais pas à la fac de droit et que je ferais une carrière dans la musique… ».
« There’s a distance in our words / There’s a distance and it hurts and / All the king’s horses / All the king’s men, well, couldn’t / No, they couldn’t put it back together again » (Il y a une distance dans nos mots / Il y a une distance et ça fait mal et / Tous les chevaux du roi / Tous les hommes du roi, eh bien, ne pouvaient pas / Non, ils ne pouvaient pas réparer ça…) : c’est avec Colourblind, la chanson bien-aimée de son premier album, Echo, et sa référence décalée à la comptine Humpty Dumpty, qu’Indigo ouvre la soirée. A côté de nous, son fan numéro 1 commence à pleurer, et il n’arrêtera pas de se déshydrater ainsi, malgré sa bière, pendant l’heure qui suivra !
La majorité de la setlist est consacrée aux chansons du dernier album, Hysteria, réflexion inspirée sur la féminité réelle, celle des émotions débordantes – et contenues – des femmes, parce que la société masculine les a toujours rejetées, en les qualifiant « d’hystériques ». Il faut néanmoins avouer que ces chansons, conçues pour être jouées en groupe et interprétée ce soir dans des versions dépouillées (« Elles sonnent différemment quand je les joue seule, comme elles ont été écrites ») sont moins impressionnantes que les trois extraits de Echo qui seront à chaque fois un véritable enchantement… en même temps qu’un coup de poignard dans le cœur !
La voix d’Indigo est sublime, on le sait, et le live le confirme, même si la chanteuse se plaint d’un problème de « pitch aigu » dans son micro « qui va exploser », mais qui est, heureusement, quasiment inaudible de la salle. Sa guitare lui joue occasionnellement des tours, perturbée qu’elle est par les changements extrêmes de température. L’émotion atteint néanmoins un sommet sur le magnifique Carnival (Young boy, young girls’ faces / They all just look around / They’re at the carnival / Their rides go up and down – Les visages de jeunes garçons, de jeunes filles / Ils regardent tous autour d’eux / Ils sont au carnaval / Leurs montures montent et descendent). La chanson Hysteria, accueillie par des applaudissements, permet à Indigo de citer – ce qu’elle a déjà fait en interview – l’histoire de cette femme touchée par le génie et courant à travers champs pour ne pas perdre l’inspiration. Nous aurons aussi le plaisir d’entendre la plus rare The Day I Drove The Car Around The Block.
Indigo nous explique combien cette tournée solo est éreintante pour elle, et combien c’est important de se ressourcer chaque soir avec l’énergie que dégage son public, qui lui donne la force de repartir le lendemain. Le set se referme de manière littéralement sublime avec Everything Everything : « Everything is dying / Everyone, everyone / Everyone is dying / Everything is simple » (Tout est en train de mourir / Tout le monde, tout le monde / Tout le monde est en train de mourir / Tout est simple). A côté de nous, notre ami dublinois redouble de larmes.
Il n’y aura pas de rappel.
Il est temps de laisser Indigo repartir vers une autre ville, et un nouveau public – plus nombreux on l’espère pour elle – à enchanter.
Texte et photos : Eric Debarnot