Lucas Vallerie et Michael Brunel nous livrent une magnifique série de portraits de héros discrets, les « migrants » et leurs sauveteurs. Quand le devoir d’assistance aux personnes en danger s’impose face aux cynismes des politiques de tous bords.
Rescapé.e.s tient plus du documentaire illustré que de la bande dessinée traditionnelle. Le dessinateur Lucas Vallerie et le photographe Michael Brunel ont répondu à l’invitation de Médecins sans frontières et embarqué à l’été 2022 sur le Geo Barents. Ce robuste navire est affrété dans le but de secourir des migrants au large des côtes libyennes.
Nous connaissons le contexte. Des dizaines de milliers d’Africains traversent le désert afin de rejoindre la Libye où des passeurs mafieux leur promettent de les aider à franchir la Méditerranée. Maltraités et rançonnés, ils sont entassés sur des esquifs souvent incapables de rejoindre l’Italie. Un étrange et mortel jeu de chat et de la souris se joue à leurs dépens. Ils redoutent les garde-côtes libyens, qui les interceptent pour les jeter dans des camps, et espèrent être secourus par les Européens.
L’immense mérite de cet album et de nous extraire du monde froid et stérile des statistiques et des polémiques politiques, pour nous intéresser aux humains. Les auteurs décrivent leur arrivée à bord et la découverte de l’équipage, une phalange internationale de sauveteurs, les dignes héritiers des french doctors. On est frappé par leur professionnalisme, les premières journées sont consacrées à la remise en condition du bâtiment, puis aux exercices et aux retours d’expérience. Rien n’est laissé au hasard et chacun a sa mission.
Puis, vient le temps de l’attente, enfin de l’alerte. Tout va très vite. Le navire pousse ses machines et les deux « RHIB », de puissants hors-bord, sont mis à l’eau. Le sauvetage commence. L’équipage anglophone n’accueille pas des migrants, mais des « survivors ». Ces derniers s’expriment en français ou arabe. Les blessés sont pris en charge, les disparus identifiés.
Lucas Vallerie alterne croquis rapides et dessins plus travaillés, livrant une série de saisissants portraits, la plupart saisis sur le vif avec une très belle technique, qu’il accompagne d’une courte biographie. Les photographies et les commentaires de Michael Bunel apportent un second regard, complémentaire. Nous sommes frappés par le courage, la volonté et la résilience des rescapés. Dans l’aventure, tous ont perdu des proches. S’ils ne sont pas au bout de leurs peines, l’Europe les accueille de plus en plus difficilement et ils risquent de vivre des années sans papiers, le plus dur est fait. Ils se savent en sécurité et vont pouvoir rassurer leur famille. Leur soulagement est palpable et leur joie contagieuse. La tension retombe et demain, lorsque la côte approchera, sera jour de fête. Le monde n’est peut-être pas tout à fait perdu.
Stéphane de Boysson