Encore un nouveau film de de Kōji Fukada, après Harmonium, l’Infirmière, et Suis-moi, je te fuis / Fuis-moi, je te suis. Et encore une réussite de ce metteur en scène qui poursuit la geste du grand cinéma japonais !
Placardée sur les murs des couloirs du métro parisien, l’affiche de Love Life, le nouveau film de Kōji Fukada, nous exhorte à surtout ne pas révéler aux gens qui n’auraient pas vu le film quel est son sujet… Soit une manière assez naïve de laisser penser au cinéphile lambda, pas forcément tenté par le visionnage d’un film d’auteur japonais, un effet Sixième Sens, ou quelque chose du genre. Or, rien n’est plus éloigné de ce cinéma posé, plutôt contemplatif, que les ressorts du thriller, même psychologique, des films US, et cette fausse promesse de l’affiche risque de faire bien des déçus ! Ce qui ne veut pas dire que le scénario de Love Life ne soit pas remarquable, et plein de surprises et de retournements inattendus, mais ces « coups de théâtre », qui ne sont pas sans évoquer une fois encore les fantaisies d’Eric Rohmer, sont joués sur une tonalité mineure – même lorsqu’ils sont terriblement dramatiques – ce qui les dépare de l’effet « WOW ! » que l’on attend des twists trop malins du cinéma contemporain.
Kōji Fukada, dont on avait apprécié des films comme Harmonium et l’Infirmière, mais également la série TV sortie en un format de deux films en France, Suis-moi, je te fuis / Fuis-moi, je te suis, est également scénariste de son Love Life, qui nous raconte les épreuves par laquelle passe un jeune couple, dont le mariage n’a pas été bien reçu par la famille du mari, et qui va être confronté « au pire ». Ce gouffre qui va s’ouvrir devant eux les engloutira-t-il, et ce d’autant que chacun de son côté, ils vont être confrontés au retour d’un passé qu’ils pensaient avoir laissé loin derrière eux ? Autant de ne rien dire de plus (et donc respecter les injonctions de l’affiche), tant l’intelligence du scénario de Fukada mérite l’innocence de notre regard…
Mais la vraie beauté de Love Life dépasse largement la qualité de son écriture, et se niche avant tout dans la justesse, dans l’honnêteté du regard porté sur tous les protagonistes, les plus retors (ils mentent mais nous les aimons quand même) comme les plus sincères (nous les aimons mais ils mentent aussi…). Avec un rythme parfait – ni trop rapide, ni trop lent -, des cadrages conjuguant signifiance et beauté, une direction d’acteurs tirée au cordeau, et avec une musique réduite au stricte minimum, Love Life retrouve l’élégance formelle du grand cinéma japonais des années 40 et 50, tout en étant définitivement moderne : les considérations sociales (l’aide aux sans-abris), culturelles (comme les jeux en ligne où triomphe le petit Keita) et politiques (ces relations toujours peu évidentes entre Coréens et Japonais) nourrissent une intrigue beaucoup plus complexe que ce que l’on imagine a priori, sans que jamais Love Life ne perde le fil de son récit, en dépit de ses tours et détours.
Les critiques les plus négatifs vis-à-vis du film l’ont parfois trouvé « atone », sans doute parce que Fukada n’utilise que très peu des mécanismes habituels du cinéma pour faire rire ou pleurer, ou même simplement intéresser et séduire son spectateur. Il compte sur notre intelligence et notre capacité à saisir l’importance cruciale des petites « choses de la vie » – toutes simples ou un peu décalées – qu’il montre dans le film (des religieuses qui sont recrutées pour compléter une fête d’anniversaire, un petit chat qui se perd, un couple qui ne se regarde plus dans les yeux, un mariage noyé sous la pluie, etc.). Et c’est alors que l’émotion naît, voire nous submerge.
Dans un cinéma japonais contemporain passablement sinistré, Fukada est définitivement l’un des réalisateurs qui croit encore au 7ème Art, qui suit l’exemple d’un Naruse ou d’un Ozu, tout en rénovant cette belle tradition grâce à son sens de la facétie (même au cœur des drames les plus terribles) et de l’absurdité de la vie. « Tout le monde ment », nous dit en conclusion son Love Life, mais il faut bien vivre, et s’aimer quand même.
Eric Debarnot