En cette période de fierté homosexuelle, ce récit édifiant sur les thérapies de conversion arrive à point nommé, rappelant que la Gay Pride n’est pas juste une célébration joyeuse, mais le fruit d’un combat de longue haleine, jamais totalement gagné…
Dès son plus jeune âge, Acácio fait le désespoir de ses parents. Le garçonnet préfère jouer à la poupée plutôt qu’au football, aime aider sa mère à la cuisine et adore s’habiller en fille. Mais dans la famille Do Nascimento, l’homosexualité n’existe pas et elle n’existera jamais ! Pour soigner cette « maladie », les parents vont consulter un médecin qui a la solution. Celui-ci connaît les bons traitements qui feront d’Acácio un homme, un vrai !
La Cure est un roman graphique qui a valeur de documentaire dans son propos, s’inspirant d’une réalité effroyable qui eut longtemps cours jusqu’à ce qu’enfin plusieurs pays se décident à agir. Le Brésil fut le premier en 1999 à rendre illégales les « thérapies de conversion », qui visaient à « guérir » un individu de son homosexualité supposée ou avérée. L’homosexualité fut longtemps considérée à travers le monde comme une maladie honteuse, ou pire encore comme une perversion, un péché ultime vous conduisant tout droit à la damnation éternelle. Ce n’est qu’en 1990 que l’OMS la retira de la liste des pathologies mentales. Depuis, l’Église — si bien sûr on excepte les évangélistes —, qui a une responsabilité écrasante dans ces pratiques prétendument thérapeutiques, semble avoir mis de l’eau dans son pinard, échaudée peut-être par les affaires de pédophilie à répétition dans ses rangs qui font la Une depuis quelques décennies et mettaient en lumière des mœurs autrement plus scandaleuses…
Avec ce livre, Mário César raconte le parcours, dans le Brésil des années 60 à nos jours, d’un homme dont les parents n’acceptaient pas le comportement pas suffisamment viril et qui, alors qu’il n’était encore qu’un enfant, entreprirent de le ramener dans le « droit chemin » avec l’appui des autorités médicales et religieuses. Difficile à la lecture du récit de ne pas être sidéré par la cruauté des méthodes employées, et on a peine à croire que des parents dignes de ce nom aient pu soumettre leur progéniture à des pratiques aussi discutables pour ne pas dire effrayantes. Ainsi se déroule sous nos yeux éberlués le processus thérapeutique (du visionnage de scènes pornographiques à une séance d’exorcisme, en passant par les injections de testostérone et les électrochocs !) auquel sera soumis le fiston, allant jusqu’à la maltraitance physique de la part d’un père et d’une mère dont les vues semblent totalement en phase avec la dictature militaire de l’époque. Même si le « traitement » semble fonctionner dans un premier temps, le lecteur sent confusément qu’il est voué d’avance à l’échec. Admettant le fait qu’il est malade, le jeune Acácio intériorise ses pulsions et finit par rejeter sa propre identité, parfois avec violence, chaque séance de branlette se terminant invariablement par des accès de nausée. Un véritable « film d’horreur » qui ne laissera pas le jeune homme indemne mais conduira celui-ci à trouver une porte de sortie à cet odieux labyrinthe névrotique.
Au-delà de ce douloureux chemin de croix, le livre évoque l’hypocrisie insupportable d’une société plombée par la peur du qu’en dira-t-on, sous l’emprise quasi-totale de la religion, mais aussi, plus brièvement, la question des autres sexualités et des violences policières (en 1981 alors que le régime militaire est encore en place) à l’encontre des personnes trans, par des types qui tabassent « quelqu’un pour quelque chose qu’un tas de machos font au carnaval », comme le relève avec justesse Juliano, l’ami d’Acácio. Dans son découpage chronologique, la narration est on ne peut plus fluide, ponctuée à chaque nouveau chapitre par une photo ou un document d’époque représentant des manifestations ou des événements en lien avec la communauté LGBT.
La ligne claire très lisible de Mário César accompagne parfaitement ce récit entre fiction et documentaire. Si les personnages peuvent parfois apparaître un brin figés, le cadrage et la mise en page restent de bon aloi, alternant des gaufriers sages avec des pleines pages éloquentes adoptant les codes du comics. Le parti pris très explicite d’une bichromie bleu et rose vise à dépeindre un monde binaire et patriarcal où un bleu viril domine un rose féminin. Quant aux personnages, si les hommes et leurs vêtements ont la couleur des Schtroumpfs et les femmes celle de Hello Kitty, les « non-genrés » apparaissent évidemment bicolores…
Si aucune étude sérieuse n’a jamais pu démontrer l’efficacité de ces thérapies de conversion, ni dans un sens ni dans l’autre, ce récit à haute valeur pédagogique se borne à démontrer l’évidence : croire qu’on peut modifier l’orientation sexuelle d’un être ne restera jamais qu’un vœu pieu. Autant croire qu’on pourrait rendre un jour Cyril Hanouna intelligent ou Emmanuel Macron sincère ! Et si certains s’obstinent à penser que l’homosexualité est une maladie, grand bien leur fasse, mais qu’ils laissent au moins décider les malades eux-mêmes s’ils ont vraiment envie de guérir ;-)
Laurent Proudhon
La Cure
Titre original : Bendita Cura
Scénario & dessin : Mário César
Editeur : iLatina
Collection : Novela Grafica
296 pages – 30 €
Parution : 5 mai 2023
La Cure — Extrait :