Le jeune rappeur nordiste se livre sans fard sur Black Bumble, son premier disque. Avec un regard tendre et sans concession sur ses contemporains, Linton a trouvé le ton juste, pourvu d’un son minimalisme salvateur.
Solitaire, Linton s’habille de noir. Il aime s’exiler dans une yourte pour composer. Loin des turpitudes de la ville, il apprécie les champs à perte de vue de la campagne lilloise. Plus jeune, il a baigné dans des musiques cold qui distillait un spleen et une noirceur que l’on retrouve sur son premier Black Bumble. On y trouve donc des cordes à pleuvoir, des touches de claviers à fendre la brume et les beats sont priés de ne pas trop en faire. Les voix connaissent différents traitements inhérents au style rap new génération, vocodées ou auto-tunées, Linton assure son flow en français avec une urgence teintée d’humanité. Il y règne une douce fatalité mise en valeur par une production d’orfèvre.
Lorsque l’orgue démarre en ouverture sur Jerrican, Linton ne s’accorde aucune clémence. Sa poésie verbale surfe sur un rythme drum&bass qui embrasse son cold rap. Direct, il ne s’étend pas et règle l’affaire en 2’15. Des synthés old school, quelques rythmes bien sentis résonnent sur Northside. La voix trafiquée embarque un piano crépusculaire pour un road trip émotionnel où le nordiste revient sur son passé. Le jour se Lève voit la participation d’Eline pour un moment de grâce dans laquelle les programmations se montrent pleines d’audace. Idem pour Afterlife, Linton veut quitter la terre pour se retrouver dans un autre monde, voire parallèle. Toujours ce piano fantomatique, mélodiquement proche de Satie ou de Yann Tiersen, fend la mélodie de larmes noires. Alors que sur Roadie, le rappeur Ashh réplique à Linton dans une ambiance classique qui inclut quelques interstices électroniques, Radar quant à lui tourbillonne avec un impact mélodique brillant. Son featuring avec Germoz conforte le groove et en fait un des meilleurs titres de l’album. Tel un kaléidoscope en musique que l’on n’a pas envie de voir s’arrêter, Nobody joue sur l’introspection et s’emballe avant de trouver la sérénité. Que L’œil Du Cyclope pérennise dans un balai de violons avant que des arrangements vocaux et samples viennent suspendre le temps. La rappeuse Oso donne la réplique sur Valhalla, le titre le plus électro du disque. Une belle performance qui le hisse parmi les réussites de Black Bumble. Linton y règle ses comptes avec l’humanité sur des voix célestes. Autant le flow est revendicatif, autant les arrangements contre balancent la véhémence du propos. Sonne Faux et Les Mêmes Gamins signent la fin du voyage.
Le soleil se lève sur la yourte et Linton se sent soulagé. Reste ces onze titres très personnels ou le rappeur nordiste s’expose sous la lumière rédemptrice : beau et sombre à la fois.
Mathieu Marmillot
Linton : Black Bumblee
Label : Sonar Records
Date de sortie : 17 juin 2023