Manuel Abramovich filme le spleen d’un sex-influenceur devenu acteur porno. Et ausculte, de façon un rien désincarnée, les lois du désir 3.0 et la prégnance d’un vide existentiel qui s’est imposé à la faveur de nos écrans hyperconnectés.
Il s’appelle Lalo, il travaille à l’usine, il a une grosse moustache et un gros bazar. Il est sex-influenceur aussi, diffusant ses vidéos érotiques sur des réseaux sociaux spécialisés (genre OnlyFans et Cie) où il a pas mal de followers (et de succès). Suite à un casting, le voilà engagé comme acteur porno interprétant Emiliano Zapata dans un film X qui, à sa manière, cherche à revisiter l’histoire de la révolution mexicaine par l’une de ses figures plus emblématiques. Mais ce qui va surtout intéresser Manuel Abramovich chez Lalo, et le titre de son film annonce évidemment la couleur, c’est ce sentiment de mélancolie qui semble l’habiter, le ronger intensément. Un spleen qu’Abramovich va tenter de comprendre en accompagnant Lalo dans son quotidien. Dans une réalité dont il paraît absent, étranger, invisible malgré un corps que l’on sollicite sans cesse.
Dès la première scène d’ailleurs, Lalo est filmé seul dans l’agitation d’une rue observant les gens qui passent, qui l’ignorent ou qui le frôlent, puis soudain éclatant en sanglots sans que personne ne s’arrête un instant, ne vienne s’enquérir de lui. Explorer et montrer la solitude à l’ère du numérique, nouvelle forme d’aliénation sociale, est devenu aujourd’hui un quasi lieu commun. Et le film, là-dessus, ne dira rien de plus de ce que l’on sait déjà (illusion de la relation humaine, bonheur virtuel, rapport obsessif à son image, mise en scène narcissique de son intimité…), mais au moins le fait-il sans se montrer didactique, sans jamais juger son personnage (que l’on pourra, au demeurant, trouver peu attachant, dû sans doute à la volonté d’Abramovich d’en faire une sorte de « page blanche », d’en révéler le moins possible).
En parallèle, le film se fait témoin du milieu porno (gay et plus général) où injonctions à une masculinité virile, rêves de gloire éphémère et exploitation des corps (une scène de sexe en particulier donne la désagréable impression d’assister à un viol) continuent de faire loi, et où les nouveaux formats digitaux, derrière une apparente liberté de production, obligent finalement à une immédiateté permanente, à une activité toujours plus exigeante. Entre fiction et documentaire (Lalo Santos joue son propre rôle), entre Alain Guiraudie et João Pedro Rodrigues, ni complètement intéressant ni complètement raté, Pornomelancolia ausculte, de façon un rien désincarnée, les lois du désir 3.0 et la prégnance d’un vide existentiel qui s’est ouvert, imposé à la faveur de nos écrans hyperconnectés.
Michaël Pigé