Une voix énorme, une musique discrète mais riche, pour un album fort, émouvant, prenant, à la limite du mystique. Une prière à la terre, une ode à la nature et à la vie. Un nouvel album de Clara Engel, le genre d’album qui donne envie de dire merci.
© Tanja Tiziana
Clara Engel est une magicienne, quasiment une sorcière. Pas à cause de la quantité de morceaux de musique qu’elle est capable de composer et enregistrer ; pas non plus parce qu’elle joue de tout un tas d’instruments ou qu’elle chante (admirablement, on y reviendra). Non, Clara Engel est une magicienne parce qu’elle compose une musique terriblement envoûtante.
Nous avons déjà eu l’occasion de vanter les vertus et mérites d’un de ses (nombreux) précédents albums, le remarquable Their Invisible Hands. Le nouveau est à placer exactement sur le même piédestal, c’est-à-dire haut, très haut. Quel album que ce Sanguinaria ! Mais quel album… Quiconque a une once, et il n’y a vraiment besoin que d’une toute petite trace, d’humanité perdue au fond du cœur et du corps, sera submergé par ces 10 morceaux. Tout est tellement beau, tellement pur, émouvant qu’on ne peut pas ne pas céder. Pire ! On ne peut pas ne pas avoir envie de céder et de se laisser faire. Impossible. Cette musique vous saisit l’âme et les tripes, vous enlève, soulève de terre et vous propulse dans une sorte d’univers parallèle, dans un ailleurs dont on ne voudrait pas revenir. On dit souvent de tel morceau qu’il accompagnerait parfaitement tel ou tel moment, par l’énergie qu’il dégage ou le calme qu’il inspire. De Sanguinaria, comme certainement de la plupart des autres albums de Clara Engel, on peut dire qu’il crée le moment qui va avec lui. Il s’impose, rend nécessaire de s’arrêter et de passer du temps avec lui. Il crée son propre espace, sa propre temporalité et exclut tout le reste. Que ce soit dimanche matin, vendredi soir, mercredi midi, écoutez Sanguinaria et vous serez ailleurs.
D’abord, il y a la voix. Exceptionnelle. Ce n’est pas Maria Callas ou un Caruso, certes. Il n’y a pas une puissance capable de couvrir ou d’accompagner un orchestre. Mais il y a la même force que chez ces énormes chanteurs et chanteuses : la force de vous tirer les larmes du corps, de vous donner le besoin de vous mettre à genoux et l’envie de dire merci. Il se dégage une telle richesse, une telle chaleur et densité… Cette voix fait, comme sur Their Invisible Hands, fait la différence. Pour s’en convaincre, on pourra comparer avec les instrumentaux de Undergrowth, intéressants et beaux mais auxquels on ne peut s’empêcher de penser qu’il manque quelque chose. Il manque l’émotion, et la sensation de paix et de sérénité, de détachement, de fragilité que procure le chant, les mélopées lancinantes de Clara Engel.
La voix ET la musique, évidemment. Clara Engel ne change pas a capella, même si l’on peut avoir quelquefois l’impression, c’est le cas. C’est quand la musique vient accompagner la voix que Clara Engel est à son meilleur niveau. Il faut dire que Clara Engel joue de tout un tas d’instruments, la guitare électrique (Deathless), guitare « cigar box » (Poisonous Fruit, I Died Again), talharpa (Poisonous Fruit), melodica (I Died Again), guitare acoustique ( Poisonous Fruit, I Died Again). Et il y a les invités, Paul Kolinski au banjo sur Deathless, Brad Deschamps, lap steel sur Sing in Our Chains et Extasis Boogie, guitare électrique sur A Silver Thread ou Larvae, Lys Guillorn, lap steel sur A Silver Thread. Une multiplicité d’instruments qui donnent d’abord une grande richesse sonore aux morceaux de cet album. Mais tout en discrétion et légèreté. Ce sont toujours des touches ici et là, quelques accords (Sing in Our Chains), quelques arpèges (The Snake in the River)… On entend ces instruments, parce qu’ils sont distillés avec soin et précision, mais ce n’est jamais trop évident, trop présent parce que, encore une fois, c’est la voix et le chant, ces mélopées envoûtantes, qui font le travail.
Peu, donc, une musique du dépouillement. Mais c’est toujours suffisant pour accompagner la voix, pour lui faire un écrin, pour renforcer l’impression de légèreté et de profondeur, de densité, pour donner aux morceaux plus une belle ampleur et une texture riche et intéressante. Et qui donne aux morceaux une sacrée personnalité, quelquefois tirant même sur le blues ou la country (Personne).
Difficile de retenir un morceau plutôt qu’un autre, difficile de dire si le charme opère plus ici ou là. Le charme opère, sur un album égal, constant, cohérent et homogène. Un album incroyablement beau.
Alain Marciano