En s’attaquant au problème essentiel du mélange des cultures liés à l’immigration, et en le conceptualisant via la complémentarité des 4 éléments, Pixar visent haut. Mais reviennent vite à une histoire toute simple d’histoire d’amour empêchée. Est-ce un bien ou un mal ?
La sortie de chaque nouveau film des Studios Pixar est accompagnée, quasiment depuis le début de leur domination sur l’animation mondiale (même si les fans de la Japanime, et ils sont nombreux, vont questionner, sans doute à raison, cette affirmation…), d’un périlleux exercice de comptabilité, où chacun, critique professionnel ou cinéphile amateur, va soigneusement dresser sa propre liste des actifs et passifs au bilan. L’objectif étant de juger le plus objectivement possible si « Pixar, c’est plus ce que c’était… » (sous-entendu depuis le rachat par le monstre Disney, ou depuis le départ de John Lasseter…), ou si, au contraire, « Ils restent quand même les meilleurs ». En sachant que ce que tout le monde attend d’un « grand Pixar », ce n’est pas un simple divertissement, mais une nouvelle avancée technologique au niveau de l’image, et un nouveau « high concept » pour le scénario.
Après le confinement sur Disney+ de Soul, Luca et Alerte Rouge, trois très bons films qui n’atteignaient pourtant jamais la grandeur de leurs meilleurs prédécesseurs (sauf Soul, par moments…), et après le désastre qu’aura été le retour en salle avec le mauvais Buzz l’Eclair, les enjeux étaient élevés pour Elémentaire, qui arrivait avec en France avec des handicaps : d’abord une ressemblance gênante avec le concept de Vice Versa, ensuite la présence à la réalisation de Peter Sohn, dont le seul fait d’armes en la matière est le discutable Voyage d’Arlo, et enfin un buzz pas trop positif des USA, avec des prévisions d’entrées dans une fourchette plutôt basse. Evitons tout suspense : même si les avis de la critique française « officielle » sont, comme toujours, partagés (entre, en gros, « Pixar revient au sommet » – quand donc est-ce que Pixar avait quitté le sommet ? – à « une simple histoire d’amour sans intérêt »), le bilan comptable auquel on faisait allusion plus tôt est équilibré.
A l’actif du film :
- Eh oui, c’est une histoire d’amour, une vraie, que Sohn nous raconte, la première depuis la naissance des studios, avec même le premier baiser à l’écran ! Et les amoureux d’une bonne rom com, avec tous les empêchements que cela suppose pour qu’elle soit réussie, ne pourront que se réjouir.
- Et si, il y a un « high concept » : puisque le thème profond de Elémentaire est la compatibilité (ou non) des cultures lorsque l’immigration mélange les peuples – quand même l’un des deux vrais sujets de notre époque avec l’écologie -, on a imaginé ici figurer les frictions entre les communautés par la difficulté de « combiner » les quatre éléments. La jeune et explosive Ember (Flam en France) est faite de feu, tandis que son amoureux potentiel, Wade (Flack chez nous) est lui constitué d’eau : la question est donc claire, pourront-ils s’aimer, voire simplement se toucher ? Les barrières sont nombreuses : non seulement celles de leur « nature profonde », mais celles que la société dresse, rejetant plus ou moins violemment les « flammes », immigrés de plus fraîche date…
- Graphiquement, et ce n’est pas forcément évident à la vision de la Bande Annonce, il y a un travail stupéfiant, magnifique même, dans la représentation des personnages de feu, une représentation qui en appelle à l’animation 2D, intégrée dans un univers en 3D (comme les Flammes doivent s’intégrer dans une société qui ne veut pas d’eux…). Soyons clairs : même pour qui n’adhérerait pas à une « simple histoire d’amour », le spectacle visuel est souvent féérique.
- Pixar restent insurpassables quand il s’agit de faire naître l’émotion, et ce de manière aussi subtile qu’irrésistible : on sort d’Elémentaire bouleversés (et réjouis), comme à chaque fois qu’on a affaire à un « grand Pixar ». Il y a chez eux, au-delà de l’intelligence de leurs idées conceptuelles, un vrai Art de la simplicité et de la justesse des sentiments, qui les distingue radicalement du tout venant du cinéma actuel, visant systématiquement la surenchère pour attirer les adolescents dans les salles.
A son passif :
- Les aspects potentiellement politiques du sujet sont abandonnés assez rapidement, ce qui présuppose une bienveillance générale trio lénifiante, le scénario se concentrant sur les incompatibilités physiques des éléments. C’est dommage : le film souffre de l’absence d’antagonistes qui lui auraient ajouté de la tension, et de l’intérêt.
- Le MacGuffin de l’enquête menée par Ember et Wade est particulièrement faible, manquant dramatiquement de cohérence et de logique. C’est d’ailleurs la première fois qu’un scénario d’un film de Pixar n’est pas… euh… étanche, et ressemble à un scénario de film hollywoodien « lambda », avec ses incohérences, ses facilités et ses trous… d’air.
- Le film présente des ressemblances gênantes, non pas avec Vice Versa, mais avec l’excellent Zootopie des Studios Disney (le sujet et l’apparence de la ville « multiculturelle, l’administration de la cité, l’enquête), sans en posséder les mêmes points forts (le thriller policier, la complexité psychologique, l’humour).
- Si Elémentaire fourmille d’idées géniales, qui passent pour la plupart beaucoup trop vite et nécessitent un second visionnage, au moins, il souffre quand même d’une absence de gags vraiment drôles, voire d’un timing approprié pour être une comédie réussie. Il y a d’ailleurs fort à parier que le film soit ennuyeux pour les enfants.
Conclusion ? Ni un chef d’œuvre, ni une déroute, Elémentaire prouve qu’on ne saurait encore rayer Pixar de la carte des studios qui comptent. Et que, non, la disneyfication de Pixar n’a toujours pas tué la créativité des équipes : aucune raison tangible de se désespérer, Elémentaire n’est certes pas un GRAND film, mais c’est un BON film.
Eric Debarnot