Feedback, Jakub Zulczyk : noir, alcoolisé et épuisant

Une (vague) histoire policière pour un vrai roman noir, désespéré, désespérant sur fond de vodka et de bière, d’alcoolisme et de dégueulis. Un héros négatif et toxique, en perpétuelle dégringolade, à la recherche de son fils dans un monde qui ne se remet (toujours) pas d’avoir été communiste. Ne peut pas se lire d’une traite ! Mais recommandé quand même !

Portrait Jacub Zulczyk -
© Zuza Krajewska – 2021

Ceci n’est pas un livre. C’est une machine à laver, que Jakub Zulczyk a mis en mode essorage 1200 tours/minutes, ça tape, ça tape, ça fatigue… 530 pages à un rythme nerveux et énervé. Et ça commence dès le début. On rentre dans la machine infernale dès les premières pages, dès le hublot refermé, ça commence. Il n’y a pas de sas, vous savez, un de ces chapitres préliminaires qu’on trouvé au début de beaucoup de romans (en particulier policiers) qui ne sont jamais vraiment compréhensibles, qui nous font déjà deviner la fin mais sans qu’on le sache évidemment et dont le rythme est légèrement différent du reste du roman. Il y a bien un prologue, mais qui fonctionne comme le reste du roman. Beaucoup de dialogues, et quand les gens se parlent, cela part dans tous les sens, des phrases qui ont du mal à s’enchaîner les unes les autres, des discussions pas toujours faciles à suivre. C’est de cette façon que se déroule une grande partie de Feedback. C’est étourdissant, pas loin d’être épuisant. Mais, évidemment, parce que Jakub Zulczyk n’est pas un débutant, tout ceci n’est pas gratuit. Cela sert le propos, qui est de nous plonger dans la tête et les affres alcoolisés de Marcin Kania, le héros très négatif et narrateur de ce roman. Le sujet du roman est là, bien plus que dans l’histoire ou les autres histoires autour desquelles il se structure. Feedback est un roman sur l’alcoolisme, raconté par un narrateur alcoolique qui fréquente beaucoup d’autres alcooliques.

FeedbackTout ceci s’articule autour d’une histoire, vaguement policière. Piotr Kania, le fils de Marcin, a disparu parce qu’il s’est retrouvé impliqué dans des magouilles liées à la vente de maisons et d’appartements en Pologne (dans la Pologne d’aujourd’hui, en fait). L’immobilier semble être un secteur dans lequel il ne se passe pas toujours de belles choses. Pas étonnant que la Pologne n’échappe pas au problème. D’autant que tout cela se passe quelques années après la fin du communisme… Ce qui se passe en Pologne aujourd’hui a-t-il encore un lien avec le communisme ? Tout ce qui se passe dans la Pologne d’aujourd’hui est-il post-communiste, à part dans un sens purement chronologique ? Oui, probablement, comme si ce régime avait marqué les cœurs et les corps au-delà des générations. Les mauvaises habitudes ont la vie dure ! On sait que les oligarques sont (pour ceux qui sont encore en vie, en tout cas) se sont enrichis dès les années 90. Ce Feedback nous dit donc quelque chose d’assez violent, d’assez déplaisant lorsqu’il suggère que ces magouilles immobilières, des meurtres qui ont lieu autour, peuvent avoir un lien avec le communisme : la transition n’est pas finie, pas près d’être finie et le sera-t-elle un jour ? La question reste posée…

Mais revenons plutôt à Marcin Kania. Alcoolique, donc, mais aussi chanteur et compositeur à succès, et qui se retrouve à pouvoir investir, sur les conseils d’un ami, dans l‘immobilier. Et, quelque temps plus tard, son fils disparaît. Le roman est plus ou moins le récit de l’enquête pour le retrouver. Enquête menée en partie par Marcin lui-même, dans des vapeurs d’alcool. On le suit qui progresse péniblement. Entre les chapitres dédiés à l’enquête, se glissent des chapitres consacrés à des rencontres chez les AA. Et des chapitres qui montrent comment les relations entre Marcin, sa femme, sa fille et son fils se sont dégradées. Qui montrent comment l’alcool a détruit la vie de Marcin Kania et la vie de sa famille ; comment cela a ruiné ses relations avec sa femme (qu’il trompe et qu’il violente), sa fille et son fils ; comment cela a aussi perturbé ses relations avec sa maitresse et ses amis, et avec les les personnes qui lui ont permis d’investir dans l’immobilier. Marcin Kania est une sorte d’épave qui flotte sur des flots de vodka, qui ne reprend conscience que de loin en loin pour se rendre compte des dégâts et du vomi qui le couvre… Marcin Kania est malheureux d’avoir détruit toutes ces personnes autour de lui, mais il continue, perdu par cette accoutumance qu’il ne maîtrise et ne contrôle pas. Et c’est là dedans que nous amène Jakub Zulczyk, dans les délires de ce père à la fois perdu par la douleur de ce qui arrive à son fils et à ses proches, désireux de réparer mais pas très capable d’y arriver. On hésite à sympathiser avec lui, quand il s’enfile bière sur vodka sur alcool fort sur bière sur vodka…, quand on le voit tout pourrir parce qu’il est incapable de résister à son vice. Marcin réussira-t-il à trouver son fils ? Que leur arrive-t-il ? Peut-on se sortir de l’alcool ? Peut-on se sortir du communisme ? Comme si les deux questions étaient posées en parallèle…

Alain Marciano

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Raman de Jakub Zulczyk
Traduit du polonais par Kamil Barbanski et Erik Veaux
Éditeur : Payot-Rivages
208 pages, 25,50 €
Parution : 25 mai 2023