On ne s’ennuiera pas trop devant le dernier volet de la saga Indiana Jones, ce qui est déjà quelque chose. Mais il y a fort à parier que ce divertissement léger et décérébré, vaguement bâclé, bien typique de l’état du cinéma populaire US actuel, irrite au plus haut point ceux qui parmi nous seraient de vrais aficionados du « Docteur Jones »…
Le quatrième épisode des Aventures d’Indiana Jones avait été un ratage, loin du niveau des trois premiers films de la « série », et ce souvenir douloureux faisait que nul, parmi les fans jadis comblés de l’homme au chapeau et au fouet, n’avait envie de voir un cinquième volet qui confirme que « la nostalgie n’est décidément plus ce qu’elle était… ». L’absence de Spielberg à la réalisation créait des doutes sur la validité du projet, tout comme le fait que, désormais, c’était l’abominable maison Disney, capable du pire comme du pire, qui tenait les rênes… Les premiers échos du Festival de Cannes avaient été pourtant étonnamment positifs, et laissaient espérer une bonne surprise… qui ne se matérialise pas vraiment, malheureusement, une fois le film diffusé loin de l’hystérie cannoise et dans nos salles « ordinaires ».
Indiana Jones et le cadran de la destinée commence très, très mal, par une interminable introduction où tout est raté : une image trop sombre, des scènes de bagarre illisibles, des absurdités à la pelle. Résultat, outre le fait que James Mangold grille ici à tout jamais sa crédibilité de metteur en scène – bon, ça faisait un moment qu’on avait oublié ses excellents débuts au siècle dernier -, on passe gentiment le temps en scrutant le visage de Harrison Ford digitalement rajeuni, guettant des indices de la supercherie, et, en dépit d’un indéniable manque d’expression faciale, on doit admettre que ça passe bien : les acteurs ont du souci à se faire, bientôt les blockbusters n’auront plus besoin d’eux, seulement d’acheter le droit de reproduire leur visage et de mettre leur nom sur l’affiche !
Heureusement, on a passé le pire, et le reste est beaucoup plus regardable, avec quelques moments sympathiques, principalement dus à Phoebe Waller-Bridge, comme toujours pleine de vie (même dans un film qui s’apparente à une visite dans un musée où tout serait digitalisé et aseptisé…) et surtout joliment antipathique (ce qui est quand même un plus…). On pourra même vibrer gentiment au rythme d’une longue poursuite « en voiture » dans les rues de Tanger… Finalement, contrairement à ce que l’on craignait au départ, on ne s’ennuiera pas pendant les deux heures qui suivent, jusqu’à une dernière partie totalement WTF qui montre que, chez Disney, on peut vraiment raconter n’importe quoi : l’intelligence potentielle du spectateur n’est pas un paramètre dans l’équation qui doit donner des dollars comme résultat final… Le paradoxe est que l’absurdité totale de cette dernière partie (allez, un spoiler, Indiana Jones rencontre Archimède, qui peut enfin proférer son fameux « Eureka » !) donne au film un véritable aspect de Série Z (oui, même pas de série B…) bien drôle et presque sympathique.
On s’amusera donc devant ce grand n’importe quoi, mais sans adhérer outre mesure à une histoire qui est un tissu d’incohérences narratives, et qui semble n’avoir pour but que le fan service à outrance, faisant des clins d’œil réguliers à des situations ou à des personnages de la trilogie initiale qui avaient bien plus de substance, de poids émotionnel. Si des gens comme Antonio Banderas ou, surtout, Madds Mikkelsen sont aussi transparents ici, c’est bien qu’il y a un problème de fond dans le film, soit avec l’écriture de leurs personnages, soit avec la direction d’acteurs, sacrifiés sur l’autel de la CGI. Le pire est d’ailleurs atteint – et on est désolé pour le jeune Ethann Isidore – avec le personnage de Teddy, transparent, inutile, qui semble résumer à lui seul toute la paresse de l’écriture du film.
En conclusion, même si l’on peut, avec un certain masochisme, apprécier de voir ainsi un héros de cinéma (un vrai, pas un « super- ») humilié par le temps qui passe, remis à sa place de pauvre humain médiocre par un film qui n’est pas tendre avec lui, il vaut mieux regarder Indiana Jones et le cadran de la destinée non pas comme un « Indiana Jones » de plus (de trop ?), mais plutôt comme un gentil divertissement bébête et bâclé, parfait pour passer deux heures et demie dans un cinéma climatisé quand l’été est vraiment trop chaud, entouré d’enfants qui ne seront pas choqués par ce qui se déroule sur l’écran, dans une ambiance de détente générale.
Loin, très loin du projet initial de Spielberg et Lucas ? Oui, absolument. Mais, très sincèrement, est-ce vraiment grave ?
Eric Debarnot