Qui prétend encore que la musique contemporaine, expérimentale qui plus est, est ennuyeuse ? Quelqu’un qui n’était pas hier soir à la Cité de la Musique, à écouter Panda Bear et Sonic Boom interpréter avec fougue leur superbe Reset !
Le festival Days Off propose chaque année en juillet une programmation audacieuse, souvent captivante pour peu qu’on s’intéresse aux tendances les plus actuelles de la musique, et la présence à l’affiche cette année du duo Panda Bear et Sonic Boom, responsables d’un très bel album pop l’année dernière, Reset, offre une bonne raison d’oublier quelques heures durant que, en ce moment même, la France brûle, entre exactions de policiers en roue libre et émeutes sporadiques des banlieues.
20h05 : une sonnerie de téléphone et la conversation s’engage entre Ben Shemie (le chanteur de Suuns) et Chloé (Thévenin), peu à peu recouverte par un beat techno sur lequel vont se déployer des vagues musicales plus ou moins complexes, plus ou moins planantes, plus ou moins engageantes aussi. Au cours des 45 minutes qui vont suivre, la conversation va reprendre, s’interrompre, Ben va aussi ajouter sa voix, distordue, sur certains passages… A la fin, le couple se remercie mutuellement pour l’expérience… puisqu’il semble que l’album ait été réalisé ainsi, en forme de dialogue à distance entre Montréal et Paris. La musique de High Season, même si elle exige – suivant les cas – soit un maximum de concentration, soit un abandon complet aux beats, résonne parfaitement avec notre époque : distance, isolement, mais aussi bonheur de se rencontrer, même de manière désincarnée, comme une ultime preuve d’humanité.
21h15 : La belle salle de la Cité de la Musique est seulement au tiers remplie, malheureusement, pour accueillir Noah Lennox (aka Panda Bear, co-fondateur d’Animal Collective) et Peter Kember (Sonic Boom, pour les fans de rock psyché), qui officieront chacun derrière son pupitre. Peter est assis (l’âge ?) tandis que Noah est debout. Derrière eux, un très grand écran sur lequel seront projetées de fascinantes images colorées de corps dansant, se morcelant, se diluant, se reconstituant, au rythme des chansons de Reset, l’album qui va être interprété dans l’ordre et dans son intégralité ce soir, pour notre plus grand plaisir (vu que, répétons-le, il s’agit d’un très grand album pop !). Peter, très amène, discute avec nous, tandis que Noah doit s’absenter un moment – un coup de stress ? un petit besoin naturel ? – avant que le set puisse commencer.
Gettin’ to the Point commence sur ce riff de guitare acoustique (qui nous évoque à chaque fois l’intro du Queen Bitch de Bowie), avant que s’élève le chant puissant de Noah, particulièrement impressionnant en live : quel coffre, quelle intensité ! D’ailleurs, la chanson, au lieu de s’interrompre au bout des 2 minutes trente prévues, s’étend sur plusieurs minutes principalement vocales, avant de donner naissance à Go On, le morceau suivant. En fait, les neuf titres de Reset seront ainsi enchaînés, reliés par des ponts de sons électroniques et de « performance vocale » : impossible même de trouver un intervalle pour applaudir ! « Give It To Me ! Give It To Me ! » psalmodie Peter de sa voix bien plus basse : on saisit alors la dynamique vocale entre les deux hommes, si opposés en apparence, venant de différents continents, de différentes origines musicales, d’âges différents (Peter approche la soixantaine, alors que Noah a 44 ans) et qui se complètent parfaitement, vocalement (et musicalement, bien sûr…). Justement, sur Everyday, c’est Sonic Boom qui lance la ravissante mélodie, tandis que Noah fait les chœurs, confirmant la richesse de l’alchimie.
Le très festif Edge of the Edge, l’un des sommets de Reset, est accueilli par des applaudissements enthousiastes (en se retournant, on se rend compte que la salle est désormais un peu mieux remplie, tant mieux !). On ne l’a pas dit, mais toute la musique de Reset est rythmée de claquements de mains et de coups de sifflets évoquant une ambiance de carnaval : la musique électronique de nos deux compères est non seulement très organique, mais également d’une (fausse) simplicité qui la rend merveilleusement proche du cœur.
In My Body est une pause planante, presque religieuse, avec les deux voix de Noah et Peter qui s’unissent pour célébrer (?) le corps. Si Whirlpool, avec sa mélodie quasi psalmodiée, n’est pas une très grande chanson, Danger s’élève avec un refrain intense, immense (« When your grip gets a hold of me / I’m in danger ») qui soulève les acclamations du public : de manière générale, il faut le répéter, le chant de Panda Bear est bien plus émotionnellement fort, bien plus… bouleversant que sur l’album. Et cette émotion qu’il déverse tranche avec son attitude quasiment autiste sur scène : il ne prononcera grosso modo qu’un bref « thank you ! » en quittant la scène, laissant à Peter la responsabilité totale de l’interaction avec le public…
Le bref Livin’ in the After bénéficie à fond d’une ambiance de fête mariachi, et Everything’s Been Leading To This, ouvert sur des bruits de bouche amusants, chanté par Sonic Boom, se termine en déluge de beats frénétiques, dont on voudrait qu’ils ne s’arrêtent jamais.
Si Reset a maintenant été totalement interprété, heureusement le set ne finit pas là, et la paire d’amis nous régalera encore de trois titres tirés de leur discographie personnelle. Peter nous présente son Things Like This (extrait de son premier album solo de 2020) en nous disant, mi-figue, mi-raisin : « Vous vous souvenez où vous étiez à l’époque ? C’est facile : chez vous ! ». Puis viennent deux morceaux de Panda Bear, dont la valse déchirante de Tropic of Cancer (sur la maladie de son père, et son angoisse d’une transmission héréditaire à ses filles…) qui clôt le set avec une amplitude romantique magnifique.
On insiste, on insiste, sans trop y croire, et ils reviennent avec un Comfy in Nautica bruitiste et percutant (Peter : « C’est le premier titre que j’ai entendu de Noah, et je ne m’en suis toujours pas remis ! »).
Et c’est tout (1h20 de set). Mais c’était énorme. Et une preuve de plus que la musique contemporaine, tellement ignorée par les boomers réacs et les jeunes générations obsédées par le passé, est d’une force tout à fait comparable au meilleur de ce que le Rock a produit au cours des soixante dernières années.
Texte et photos : Eric Debarnot
Panda Bear & Sonic Boom – Reset : un petit bijou façonné à quatre mains