Un duo belge qui produit une musique de plus en plus déglinguée et extrême, de plus en plus intelligente et sophistiquée. Toujours meilleure. On croyait leur dernier album trop bon pour être dépassé. Ils nous donnent tort. À découvrir, sans hésitation !
Il y a des groupes dont le nom, lorsqu’il est bien choisi, évoque inévitablement un certain nombre de qualificatifs parfaitement adaptés pour en décrire la musique. C’est le cas de La Jungle. C’est pratique pour la lectrice ou le lecteur qui peut s’arrêter là en toute confiance parce que, oui, tout ce que vous pourrez imaginer qui colle au mot « jungle » colle aussi au groupe du même nom (sauf « vert », peut-être). La chroniqueuse ou, en l’occurrence, le chroniqueur est plus gêné : ne voulant pas céder à la tentation de la facilité, il se trouve de fait privé d’une source d’inspiration utile. Alors s’il faut choisir, ce sera « furieux », dans tout ce que ce terme peut avoir de positif. Oui, le duo – La Jungle est un duo composé de Mathieu Flasse, le blond, à la guitare, et Rémy Venant, le brun, à la batterie, d’origine Monsoise (en Belgique) – fait une musique furieuse ! Ce qui va d’ailleurs bien au genre de musique que le groupe revendique de la « transe » ! Quelque chose qui résulte d’un mélange explosif entre techno, électro, kraut et rock. Forcément, on comprend, ça ne peut donner que quelque chose qui dépote.
Et cette furie, cette énergie qui déborde de chaque titre, de chaque accord, de chaque moment de chaque morceau, ne s’exprime jamais au détriment de la qualité. Mathieu et Rémy ne se lancent pas à corps perdu sur leurs instruments pour faire du bruit. La copie rendue est quasiment parfaite, sonore, délirante, emportant tout sur son passage avec un niveau de composition, d’arrangements, de sophistication, de subtilité impressionnants. Quand La Jungle revendique un mélange des genres, ce n’est pas pour les diluer, c’est véritablement pour en tirer le meilleur. C’est d’autant plus remarquable que le groupe réussit à maintenir ce niveau depuis 6 albums déjà. Quasiment pas de déchet, quasiment pas de mauvais morceaux, pas de baisse de régime depuis que le groupe existe… et ce n’est pas avec ce Blurry Landscapes que cela va commencer !
Comme sur l’énorme Fall Off the Apex (2021), mais à la différence de l’éponyme La Jungle (2015) ou II (2016), Blurry Landscapes commence avec un morceau court, moins de 2 minutes, une sorte de pochade genre Les tambours du Bronx. Évidemment, cela nous rappelle que La Jungle a aussi le sens de l’humour et de la dérision (écoutez donc Hahehiho sur II!). 1’49 pour rentrer doucement, tout doucement dans l’album. Parce que ce n’est qu’un début, ça change immédiatement après. The Marvelous Forest Of Our Dreams est exactement ce que le groupe fait à la perfection, un déchaînement à la limite du métal, plein d’une batterie qui n’arrête pas et un rythme de guitare tout aussi délirant, les deux se battent pour prendre le dessus l’un sur l’autre, et puis c’est chacun son tour… jusqu’au moment où le morceau se calme pour reprendre de plus belle. Au milieu, un chant complètement ésotérique qu’on ne comprend pas, mais peu importe, des hurlements… furieux, on vous dit.
La suite de l’album est plus électro-techno, avec de sortes de surprises. La furie se niche ailleurs. Toujours la même énergie mais moins violente, moins déchaînée. La Compagnie De La Chanson est de l’électro orientaliste, Hatching The Light a presque un côté pop, et bien plus calme et lent que le reste de l’album et de ce que fait le duo habituellement. Stop est un interlude marrant et intelligent. Arrive ensuite Panther’s rib cage, transe, presque techno, complètement halluciné et hallucinant, d’un genre entre l’indus et le shamanique, comme Le Chemin Rapide (qui n’est pas rapide du tout, mais suffisamment lent pour devenir entêtant). Le tigre en bottes vertes (franchement, qu’est-ce que c’est que ce titre!) est autre morceau excellent, de la techno pour rave presque pure et dure ! Comme The Growl And The Relief ! Bass From Funky Jacky sonne un peu comme New Order, et est effectivement très groovy, alors que le dernier morceau de l’album, Voyage vers le cosmos en vaisseau d’argent, sonne comme du Vangelis et comme une vraie promesse de voyage. Un morceau super-cool et tranquille pour terminer un album plus sage, mais pas moins intéressant, que les précédents !
Et n’oublions pas, pour terminer, de dire un mot de l’artwork associé à l’album… La pochette est l’œuvre du fantastique plasticien Hideki Oki ! Et le groupe a collaboré avec tout un tas d’autres artistes à qui il a envoyé des morceaux en leur demandant de produire ce qu’elles et ils voulaient, pourvu que ce soit carré. Le résultat est à découvrir dans le livret qui accompagne l’album (une raison de plus de l’acheter…)
Alain Marciano