Éric Falce, alias My Concubine, jouait avec son groupe sur la péniche de La Dame de Canton, le 24 mai dernier à Paris. L’occasion d’un merveilleux concert et d’une chaleureuse rencontre.
Éric Falce a sorti l’année dernière son sixième album, « Comme elles s’en vont » sous le nom de My Concubine. Un disque magnifique réalisé comme à son habitude avec le producteur réalisateur Yann Arnaud (Air, Stéphane Eicher, Alex Beaupain, Jeanne Cheral…), son véritable partenaire de création. « Une belle alchimie s’est opérée entre nous il y a longtemps. »
Pour Comme elles s’en vont, Éric se retrouve seul au chant et plus avec une voix féminine pour porter ses textes en duo. « J’ai dû prendre confiance en moi. J’aime l’apport d’une voix féminine. Ne plus avoir de partenaire a changé l’angle des chansons, c’est plus masculin. Pour cet album, c’est aussi un concours de circonstances. Lizzy avait un projet solo et n’était plus sur Paris, c’était un peu compliqué… » Lizzy Ling, son ancienne collaboratrice, avait rejoint le projet My Concubine pour l’album Une chaise pour Ted en 2011 puis avait continué l’aventure sur l’excellent Quelqu’un dans mon genre, un avant-dernier album sorti en 2018. Ce disque lui avait également permis de rentrer en contact avec Brigitte Fontaine. L’ingérable chanteuse est de retour sur le nouvel disque avec un titre au nom évocateur, L’eschatologie. « Il s’agit des prédictions de fin du monde. J’ai trouvé marrant de faire un rapprochement de ce mot, utilisé par des philosophes chrétiens, avec la scatologie. C’est mon côté Italien. La scatologie, c’est très répandu en Italie, notamment dans le cinéma de Fellini. Certains programmateurs ont trouvé cela ignoble…»
Sur la chanson L’eschatologie, Brigitte Fontaine est elle-même très scato mais se contente de dire « Merde » !
« Elle a dit OK pour faire ça. C’est une artiste qui accepte les défis, même avec des gens peu connus comme moi. Elle s’intéresse à la création. De la même manière, Denis Lavant avait accepté de faire un clip avec moi car le projet lui plaisait.» L’acteur fétiche de Léo Carax a un rôle dans le clip de Dragon, un morceau sorti sur le disque précédent de My Concubine.
Cette fois, la collaboration avec Brigitte Fontaine était réduite : elle a juste envoyé les bandes sans venir au studio avec les autres musiciens.
Autre chanson à part du disque, l’entrainant Miss Syphilis, un sujet pas facile à aborder. « C’est l’adaptation en français d’un texte très underground de Lucas Trouble, avec qui j’avais fait un groupe, Tango Lüger.
On avait joué aux Transmusicales à Rennes dans les années 80. C’est un peu lui rendre hommage car il avait commencé My Concubine avec moi. J’ai adapté le texte en français en ne gardant que le refrain en anglais et la noirceur du truc. C’est avant les années sida, la syphilis était encore très répandue. J’aime cette chanson, Libé a même fait un éclairage dessus !»
Désormais installé à Uzeste, Éric Falce a redécouvert avec passion « la vie à la campagne ». « Dans le Sud, il y a plein de festivals, de concerts. Tu es à côté d’Avignon, d’Arles, de Montpellier. Cela bouge beaucoup.»
Une envie plutôt saine après de nombreuses années passées à Paris à développer sa carrière avec un succès tout relatif. La tête sur les épaules, il est bien décidé désormais à se débrouiller à l’écart du microcosme parisien sans courir les soirées mondaines … « Réseauter, c’est un travail, il faut grenouiller, graisser la patte à des gens et ça, je ne sais pas faire. Je n’ai jamais réussi à le faire.»
Le précédent album était sorti en 2018, juste avant la pandémie. « J’ai profité des confinements pour rendre le temps qui passe utile. J’avais quelques ébauches de morceaux. J’ai travaillé chez moi et à la fin, j’avais réalisé toutes les maquettes. J’ai contacté l’équipe, Loïc Maurin à la batterie, Mathieu Denis à la basse, Yann Arnaud à la réalisation et Julien Noël, un organiste. »
Éric Falce n’a qu’une règle pour composer. « Une bonne chanson doit tenir debout avec simplement une guitare et un chant. Une chanson démarre parfois d’une simple phrase, parfois d’un riff de guitares, c’est très variable. »
Dans la chanson titre Comme elles s’en vont, il semble se livrer comme jamais, un faux-semblant. « Cela parle de l’impermanence des choses. Cette chanson n’est pas si intime que cela car je ne prends mon cas pour une généralité. Dans mes textes, je parle de la peur, de la haine, de l’envie, des choses qui passent… J’aime bien évoquer le questionnement, l’introspection, le pourquoi du comment. Cela peut paraître cynique mais le cynisme, c’est juste prendre un peu de recul sur les choses, être détaché. Je n’aime pas les choses trop frontales.»
Les textes sont très élaborés. « Je n’aime pas les rimes faciles mais je veux que cela soit facile à la lecture. Je ne travaille pas avec un dictionnaire des rimes, je cherche surtout le mot juste, utile dans sa signification et sa sonorité. J’aime lier le signifiant et la musicalité des mots. Cela m’amuse beaucoup.»
Ancien avocat, il a fait il y a longtemps le choix de la musique comme mode de vie tout en gardant de son premier métier l’amour des mots et de la représentation. « Parfois, j’aimerais bien être dans le prétoire pour défendre un dossier intéressant… Je le ferais aujourd’hui mieux que je ne le faisais il y a 20 ans ! J’ai pris goût à l’écriture, avec un esprit de synthèse, en écrivant des conclusions. Une chanson, c’est comme une conclusion d’avocat : rappel des faits, introduction, développement et conclusion. Et j’aime les fins à rebondissement, avec un ressort pour maintenir la tension. »
Revers de la médaille, il est très difficile de vivre de sa musique en étant simplement auteur-compositeur. « Moi, je suis juste là avec mes chansons. Je ne peux pas m’insérer dans des projets différents. Et puis, lorsque j’écoute les chanteurs français aujourd’hui, rien ne me plait vraiment. »
De fait, il a dû diversifier ses activités. Il a par exemple été guide touristique à Paris avant le Covid. Une activité stoppée net par la pandémie. Il n’a pas repris.
A 62 ans, il ne se fait plus d’illusion sur une éventuelle carrière mais mesure à sa juste valeur la chance d’avoir pu mener à bien de très beaux projets artistiques. « Je préférerais bien sûr avoir un tourneur et une maison de disques, faire une quinzaine des dates mais les labels aujourd’hui misent sur les jeunes talents. Je suis désormais prêt à jouer seul mais je ne me vois pas démarcher une maison de disque. Nous devons faire une résidence à La Paloma à Nîmes pour réaliser une captation et présenter ça à des tourneurs.» Lucide, il considère également ne pas avoir les moyens de se développer via internet. « C’est un métier. Moi, je fais déjà les chansons, les pochettes, je supervise un peu tout. Mon problème, c’est de ne pas avoir un vrai public. Maintenant, j’aimerais surtout jouer, comme ce soir. Et rencontrer des gens.»
Ce jeudi 24 mai, le groupe était reformé pour un concert exceptionnel à cinq ! Un moment rare. « J’ai une formule variable selon les conditions. Nous pouvons être deux, trois, quatre, guitares, basse, batterie ou cinq comme ce soir avec l’apport de Julien au clavier. Cela me permet de me concentrer sur la guitare ».
A l’issue du concert, Éric Falce pouvait voir la satisfaction du public sur les visages. Beaucoup l’ont découvert avec une réelle envie d’en savoir davantage sur cet artiste si singulier, bien plus proche de Serge Gainsbourg dans les mots que l’immense majorité des nouveaux artistes et chanteurs français actuellement soutenus par les médias mainstream.
Patrick Auffret (avec Lysianne Roche)
My concubine – “Comme elles s’en vont”
Label : Happy Home / L’Autre Distribution
Date de sortie : 23 septembre