Les filles d’Olfa revient sur le départ pour Daech de deux sœurs, laissant les deux autres et leur mère dans des abimes d’incompréhension. Une percutante immersion dans le quotidien d’une famille, un documentaire qui parle de la place des femmes dans la tradition séculaire.
Petit vent de fraicheur en Compétition à Cannes cette année, avec l’irruption de deux documentaires, genre bien trop peu représenté : aux côtés du géant Wáng Bīng, Kaouther Ben Hania est venue poursuivre son cinéma féministe et vigoureux. Les filles d’Olfa revient sur un événement très médiatisé en Tunisie, à savoir le départ pour Daech de deux sœurs, laissant les deux autres et leur mère dans des abimes d’incompréhension. La réalisatrice contacte ces dernières et tente de reconstruire leur histoire, pour expliquer la séparation et le cheminement qui a mené les exilées vers un tel choix.
Le dispositif reste néanmoins assez singulier, et peut rappeler les expériences faites un temps par Kiarostami, notamment dans Close Up : pour certaines séquences, notamment les plus éprouvantes, Kaouther Ben Hania recourt à des reconstitutions avec une comédienne incarnant la mère, et deux autres pour les sœurs absentes. Un procédé qui pourra par instant atteindre quelques limites dans l’ornement : une musique trop présente et des passages joués dont l’utilité peut s’avérer discutable. Des réserves qui s’avèrent cependant minimes au regard de l’intérêt général d’un tel projet. Les filles d’Olfa est en effet une percutante immersion dans le quotidien d’une famille, la prise de conscience des ravages de la misère et la dissection d’une tradition séculaire visant à détruire les femmes.
Olfa se confie sans détours sur sa conception de la place des femmes, possessions de leurs maris, du recours fréquent à la violence et du tabou inamovible sur le rapport au corps : pur produit d’une tradition, elle n’en est pas moins une femme forte – son récit sur sa nuit de noce et le sang attendu sur les draps est un véritable moment d’anthologie féministe. C’est dans ces moments d’échange que le film déploie les plus grandes vérités : des règlements de compte assez terribles entre les filles restées et leur mère, des confidences et un débat particulièrement vif entre Olfa et l’actrice chargé de l’interpréter, grande figure progressiste tunisienne.
Grand film de femmes, Les filles d’Olfa laisse les langues se délier, et explique avec une clarté confondante les mécanismes qui ont pu faire basculer deux jeunes filles vers le radicalisme. On y apprendra notamment le fait que porter le voile fut au départ un acte de rébellion adolescente contre l’ordre établi, avant de constater comment les rites et superstitions ont pu rassurer une génération perdue dans un pays sans ressources, gangréné par la corruption. En contrepoint de l’éprouvant silence imposé par les absentes, la cinéaste investit l’espace reclus et l’intimité de celles à qui on ne donne jamais la parole, et qui la prennent ici avec rage, humour et larmes : un flot dont la vigueur finit par redonner espoir, tant la vie l’irrigue de toutes parts.
Sergent Pepper