Quand bien même sa seule actualité musicale était un Christmas album, le concert de Chris Isaak à l’Olympia fut finalement réussi…
Lorsque sort en 1985 Silvertone, Chris Isaak devient immédiatement un chouchou critique hexagonal. Présent sur son second album éponyme, Blue Hotel fut un tube en France. Avant que Heart Shaped World ne devienne un classique mondial à retardement parce que David Lynch avait décidé d’employer dans Sailor et Lula ce Wicked Game désormais habitué des télé-crochets. Ce qui amène à évoquer la relation particulière entre le néo-Elvis des années 1980 et le cinéma. Avant cela, Lynch avait inclus du Isaak dans son Blue Velvet. Après, Isaak sera, avec Bowie, l’autre rock star à l’affiche de Twin Peaks : Fire Walk with me. Et à la fin des années 1990 c’est le superbe testament kubrickien Eyes Wide Shut qui le remettra sur le devant de la scène en utilisant Baby did a bad bad thing. Isaak fut aussi en partie abusivement qualifié de rétro pour diverses raisons : sa voix entre le King et le Roy, le son de guitare évoquant le rock fifties et Hank Marvin de James Calvin Wilsey, sa synchronicité avec le gros revival fifties de la culture populaire des années 1980, revival alors porté entre autres par l’univers visuel des vidéoclips des singles de l’album Born in the USA, le film Retour vers le futur, certains Francis Ford Coppola (Outsiders…). Alors qu’il y avait dans le ton de ses œuvres de début de carrière une noirceur proche dans l’esprit de celle de la New Wave, ou de Lynch, cinéaste qui revisita les années 1950 pour révéler la face noire noire de la période. C’est ce lien profond entre l’artiste et ma cinéphilie qui m’a probablement poussé à prendre ma place pour l’Olympia alors que sa seule actu discographique était un album de Noël paru il y a quelques mois.
En première partie, ce fut Haylen, artiste à l’allure de pin up fifties dans une configuration scénique singulière : elle et le musicien l’accompagnant tous deux à la guitare électrique… et rien d’autre. Pour une musique éminemment rétro portant l’ombre du rock’n’roll et de feu Amy, pas renversante mais qui aurait servi de parfait accompagnement à une soirée dans un bar à la déco copie conforme de celle du Jack Rabbit Slim’s. Un plaisant hors d’œuvre avant le plat de résistance à venir donc. Et un groupe qui demanda in fine à ceux et celles qui les avaient filmés de poster leurs vidéos sur Facebook et Instagram.
Puis ce sera Chris Isaak, pour un set de 23 titres. Le public de la salle quittera très vite ses sièges dès qu’Isaak se décidera à descendre dans la partie gauche de la salle (hélas pas celle où j’étais assis) pour aller ensuite faire un tour au premier étage. Il ne les réoccupera qu’épisodiquement lors des quelques balades du concert. Le premier grand moment du concert fut Wicked Game, dégainé en sixième position sur le set list : l’occasion de constater que la voix est toujours là, toujours capable de ces montées dans les aigus présentes dans ses classiques. Isaak, le guitariste et le bassiste s’amusent à faire de la chorégraphie façon Ventures, instrument en main Le batteur est bizarrement planqué derrière une barrière de plexiglas qu’il quittera lors de certains morceaux pour jouer plus près de la scène. Les autres clous du set furent les reprises du Roy (Oh pretty woman, Only the lonely) et du King (Can’t help falling in love). Et un Blue Hotel rappelant qu’Isaak fut une star en France avant d’en devenir une à la maison. Le bassiste Rowland Sawley eut de son côté droit à son petit moment Keith Richards : Isaak lui prêta sa six cordes pour interpréter Killing the blues, une composition de Sawley popularisée aux States par Robert Plant et Alison Krauss. Et Isaak troqua parfois sa guitare électrique pour une acoustique, sur Dancing par exemple.
Ce fut aussi un concert bavard… et on retrouva parfois l’Isaak qui fit rire lors d’un passage à Taratata où il lança à un Bécaud fasciné par ses biceps It took all steroids, man. Que Bécaud traduisit par un Il dit qu’il vient des astéroïdes ! Faire du plexiglas mentionné un sujet de plaisanterie. Commencer par dire que Johnny Hallyday fut un des plus cool rockers qu’il ait connus, se faire applaudir par le public pour cela… et rajouter que Johnny lui faisait peur. Commencer par féliciter le public venu pour son soutien à la musique live… et ajouter que sans cela il serait juste moqué par les gamins lors de ses ballades dans Paris en costume de scène. Evoquer en fin de concert le moment où, présent backstage pour un concert de James Brown, il se présenta à Mr Dynamite comme Chris Isaak, artiste Warner. Et récolter comme seule réponse un « Hm » de la légende soul. Et devoir, comme il dit, vivre avec ça. La rencontre avec Roy Orbison, dont il faisait la première partie, fut nettement plus heureuse : afin de promouvoir Isaak, le Roy n’accepta de faire de faire de photo presse qu’à condition qu’Isaak soit dans le cadre. Dire à quel point jouer à Paris, ville où son premier concert eut lieu au Petit Rex, comptait pour lui et pour ses musiciens parce qu’ils étaient tous originaires de petites villes des States.
Puis vint le premier rappel, avec un nouveau costume scénique donnant l’impression de passer d’Elvis à Elvis à Vegas. D’abord un Baby did a bad bad thing avec quatre femmes venues danser sur scène et, parmi elles, Haylen… et avec le thème de James Bond joué à l’intérieur du morceau. Puis les superbes vocalises hautes perchées de Can’t do a thing (to stop me) et le constat apaisé de l’après-rupture amoureuse de The Way things really are. Et un second rappel avec le speech déjà mentionné sur le Godfather of Soul et une belle reprise de son I’ll go crazy…
Alors que je traînais un peu des pieds pour me rendre à ce concert, il fut meilleur, côté musiciens et côté public, que celui d’Isaak au même endroit il y a un peu moins de six ans.
Texte : Ordell Robbie
Photos : Philippe Del Medico