Conclusion de la trilogie Imaginos rêvée par Albert Bouchard et feu Sandy Pearlman, Mutant Reformation est un album moins acoustique que ses prédécesseurs, plus dans la lignée du travail du Blue Öyster Cult : plutôt mieux exécuté et produit, il s’inscrit logiquement dans la discographie « étendue » du groupe.
Aujourd’hui, le rêve d’Albert Bouchard est réalisé : il vient de terminer et de publier le troisième et dernier volume de l’œuvre maîtresse de sa vie, Imaginos. Résumé des chapitres précédents, pour ceux qui n’auraient pas suivi… Albert Bouchard, batteur et membre fondateur du groupe séminal de « hard rock » Blue Öyster Cult, dont il était en outre l’un des principaux compositeurs, développa avec son complice producteur Sandy Pearlman le concept d’Imaginos, œuvre titanesque traversant l’histoire de l’humanité. Musicalement, l’idée était de relier entre elles des chansons existantes du BÖC ainsi que de nouveaux morceaux, grâce à une narration SF / Fantastique / Fantasy, combinant extra-terrestres, puissances maléfiques, mages et événements politiques et guerriers réels. Le coup de poignard asséné par Pearlman à son ami fut de confier en 1988 la réalisation pratique d’Imaginos (enfin, d’une partie de la fresque musicale imaginée avec Bouchard) au groupe qu’il avait quitté, ou plus exactement de publier sous le nom de Blue Öyster Cult un album réalisé par un collectif de musiciens assemblés pour l’occasion. Il fallut des années à Albert pour se remettre, accepter d’abord d’avoir été dépossédé de ses idées, puis, peu à peu, reprendre le travail et finir par livrer, 30 ans plus tard, Imaginos tel qu’il l’avait… imaginé.
Plus long que les deux premiers volumes (Re-Imaginos, paru en 2020, et Bombs Over Germany, en 2021), Mutant Reformation contient 18 morceaux et dépasse l’heure et dix minutes. Nous ne tenterons pas ici de résumer l’histoire que racontent les 18 chansons de ce Imaginos III – Mutant Reformation, qui se situe, comme on nous l’explique dans l’introduction, dans un futur dystopique : il est devenu vraiment difficile d’y comprendre quoi que ce soit, et le mieux qui puisse arriver maintenant, c’est que Bouchard publie un roman qui expliciterait tout ça. Mais, dans le fond, ce qui nous importe, c’est bel et bien la MUSIQUE. Car, comme ses deux prédécesseurs, ce troisième volume est largement constitué de chansons du BÖC déjà connues, dans des versions parfois semblables (comme le brillant Flaming Telepaths qui ouvre le ban), et parfois réinterprétées de manière assez différente, avec, parfois, des modifications du texte original, afin de les inscrire plus clairement dans le « concept Imaginos » : c’est ainsi qu’on a droit à de nouvelles versions magnifiques des classiques que sont Transmaniacon, Career of Evil et E.T.I.. Une opération qui ne marche bien entendu pas à chaque fois : Sole Survivor a ainsi perdu de sa magie pop originelle, Godzilla n’impressionne pas du tout sans sa grandiloquence originelle, RU Ready To (écrit RU Red D2) sonne très maladroitement en version électronique,
L’intérêt de l’approche de Bouchard, c’est évidemment aussi de nous faire découvrir de nouveaux morceaux, soit parce qu’ils n’avaient pas été retenus à l’époque, soit parce qu’ils ont été composés ultérieurement pour compléter la narration. Les meilleures découvertes ici s’appellent The Queen’s Graveyard (avec de bonnes intuitions mélodiques et un usage élégant de cuivres) et Mountain of Madness, qui est presque une grande chanson…
Il faut également noter que, si le volume 2 souffrait parfois de faiblesses dans le chant ou dans la production (on sait qu’Albert n’est pas un perfectionniste, et qu’il privilégie l’immédiateté et l’émotion), ce nouvel album, d’ailleurs beaucoup moins acoustique, nettement plus heavy, bénéficie de la présence de nombreux amis / invités – avec un beau pedigree pour la plupart – qui contribuent à une amélioration sensible de la « forme » : The Dictators – avec qui Bouchard joue en ce moment – interprètent une version impeccable de Transmaniacon ; Steve Conte, ex-New York Dolls, livre d’excellents vocaux sur Career of Evil ; Mike Watt, bassiste co-fondateur des Minutemen et complice d’Iggy dans la dernière version des Stooges, joue sur une version peu convaincante du faiblard Curse of the Hidden Mirrors. La connexion Blue Öyster Cult est également active puisqu’on repère dans les line up Richie Castellano, de l’équipe actuelle du BÖC donne un coup de main sur Mountain of Madness, tandis que le frangin Joe contribue à une version puissante du classique E.T.I., que Kasim Sulton, bassiste de Blue Öyster Cult de 2012 à 2017, joue sur Godzilla, et que Joe Cerisano, qui a chanté sur la version Pearlman d’Imaginos vient pousser la rengaine sur Redeemed.
Sans doute trop long pour son propre bien, Imaginos III – Mutant Reformation peine sur la fin à maintenir l’intérêt de l’auditeur, mais reste un complément bien venu, sinon indispensable (aux moins aux fans), à la discographie de la galaxie Blue Öyster Cult.
Eric Debarnot
Albert Bouchard – Imaginos III – Mutant Reformation
Label : Deko Entertainment
Date de parution : 7 juillet 2023
Imaginos 2 – Bombs Over Germany : le second volet de l’œuvre maîtresse d’Albert Bouchard