Meatbodies sont l’un des groupes-phares de la scène psyché californienne, et ne sont pas encore assez connus en France : Chad Ubovich, leur leader, l’est finalement plus (reconnu) pour son rôle clé au sein de Fuzz, avec son ami Ty Segall. Meatbodies joueront à Paris la semaine prochaine, puis au Festival Folks-Blues de Binic, et c’était l’occasion d’échanger avec Chad, qui a répondu à notre habituel questionnaire de Proust…
Benzine : Quelle est la principale caractéristique de votre musique ?
Chad : Je pense que d’abord, ce sont les guitares… Mais je crois aussi que c’est un retour aux fondements de l’approche rock’n’roll. La plus grande partie de la musique actuelle est, à mon avis, assez artificielle. Les choses sont un peu trop fabriquées et capitalisées à mon goût : les gens se sont tellement éloignés de l’énergie toute simple et des principes du rock’n’roll, dont nous sommes tous issus. Des choses comme jouer d’un instrument très fort ou enregistrer une batterie sans piste de clic, ont presque disparu de nos jours. Je pense qu’il y a toujours un besoin et une envie de rock’n’roll. Et c’est ce vide que j’essaie de combler.
Il y a toute une génération d’enfants qui n’ont pas eu l’occasion de découvrir le monde du rock’n’roll comme je l’ai fait moi, alors j’essaie de tous les comprendre. La pandémie a foutu tellement de choses en l’air, et les gens ont envie de sortir et de se réunir à nouveau avec d’autres, d’aller à des spectacles, de devenir fous… Et quand vous êtes enfin à un concert et que vous faites l’expérience de vrais amplis à fond, et d’une vraie batterie qui tape fort, et que vous regardez des gens jouer, c’est bouleversant et magique. C’est une science, une communauté, une forme d’art. Je pense que c’est ce qui fait que Meatbodies se démarquent. C’est du rock’n’roll, c’est réel, vivant et sauvage, et les gens n’en ont pas assez de nos jours.
Benzine : Quelle est la qualité que vous essayez vraiment d’atteindre dans votre musique ?
Chad : J’aimerais qu’on se souvienne de moi pour l’art de ma musique, et pour la manière dont elle a évolué et s’est développée au fil des ans. La musique est intrinsèquement une chose jetable – vous pouvez écrire une petite chanson et les gens diront « oh, c’est chouette ! » Et puis n’y pensez plus jamais. Je crois qu’il y a des musiciens qui ont accepté cette idéologie, et qui produisent avec précision des chansons jetables et acceptables, et généralement ils se débrouillent plutôt bien financièrement, mais ce n’est tout simplement pas le genre de musique que j’aime. La musique est aussi un de mes passe-temps. Je parcours le pays à la recherche des prochaines choses qui vont émerger, ou de choses que je n’ai pas encore entendues. Apprendre l’année où un disque a été fait, dans quel endroit il a été réalisé, le nom de l’artiste qui l’a écrit. La pochette de l’album, les crédits, la qualité du vinyle, tout ça. Donc en fin de compte, je pense que j’aimerais inspirer ce genre de choses à des fans. A des gens qui puissent s’intéresser à l’art et à son histoire, dans son ensemble… l’apprécier et s’en inspirer.
Benzine : Quelle est la qualité que vous aimez trouver dans les groupes ou les artistes que vous écoutez ?
Chad : C’est un peu ce que j’ai expliqué avant. J’aime chercher, trouver, aimer une bonne chanson ou un bon album. La musique pop existe sous de nombreuses formes, dans différents pays, dans différents genres, mais, en fin de compte, une bonne chanson est une bonne chanson. Et si vous êtes vraiment créatif, vous pouvez faire un album entier de très bonnes chansons – sans aucuns ratés ! C’est ce que je recherche. Énumérer ce que j’aime n’aurait aucun sens parce que cela change tout le temps depuis que j’ai 3 ans. En ce moment, j’écoute vraiment un groupe de hard rock japonais de la fin des années soixante appelé Blues Creation. Et puis S.F. Sorrow des Pretty Things, Kevin Ayers, The Guess Who, un groupe appelé Banshee… mais la liste est longue !
Benzine : Qu’aimez-vous le plus dans la façon dont vous créez votre musique aujourd’hui ?
Chad : J’ai l’impression que j’essaie toujours de trouver une nouvelle approche pour le prochain album, mais pour être honnête, je n’ai vraiment été convaincu par aucune jusqu’à présent ! Je crois que la clé pour prendre plaisir à créer un album est de le faire aussi rapidement que possible, avec le moins d’efforts possibles, et de ne pas s’accrocher à des conneries. J’ai passé des années sur des albums, à les perfectionner, à les modeler, à m’arrêter sur ce que les gens allaient en penser, mais il faut faire attention à la quantité d’énergie que l’on met dans quelque chose. Comme je l’ai dit, la musique est intrinsèquement jetable. Vous pouvez consacrer tellement de temps et d’efforts à reproduire exactement ce que vous avez dans votre tête et à la fin, les gens vont dire « cool ! » et passer à autre chose. D’un autre côté, j’ai fait des choses que je pensais être de la merde absolue, et puis des années plus tard, un groupe m’a approché pour me demander l’autorisation de les enregistrer parce qu’ils aimaient le son de cet album spécifique. Je pense vraiment que la meilleure façon de faire un album est de simplement laisser les chansons apparaître. Si l’écriture est mauvaise, c’est une mauvaise chanson – la « performance » de la chanson, qu’elle soit mauvaise ou bonne, est entièrement subjective. Mon approche : soigner l’écriture des chansons, les jouer avec le groupe pendant un certain temps, aller en studio, s’assurer que tout sonne bien, puis les enregistrer en un ou deux jours, les mixer et les envoyer au mastering – c’est terminé, au suivant !
Benzine : Quelle est la principale difficulté que vous rencontrez dans votre carrière ?
Chad : L’inflation, un monde post-COVID, les grands labels ou Taylor Swift qui monopolisent les usines de pressage, les labels qui mettent tellement l’accent sur la pertinence d’Instagram ou de Tik Tok. Il y a tout un tas de merde, mais chaque musicien à travers l’histoire a eu des problèmes et des obstacles à surmonter, cela fait partie du job !
Benzine : Que faites-vous en dehors de Meatbodies ?
Chad : En plus de Meatbodies, j’enregistre et je produis d’autres groupes. Je collectionne les vinyles, et je travaille à perfectionner mon système HiFi. J’aime faire des randonnées autour de la Californie ou tout simplement sortir dans la nature et prendre des champis (rire) : c’est important pour l’âme ! Cinéphile convaincu, j’adorerais réaliser un film un jour… Gamer occasionnel, amoureux des livres… J’aime m’immerger dans l’art.
Benzine : Quel est votre plus grand rêve pour Meatbodies ?
Chad : Probablement juste continuer à développer notre base de fans. J’adorerais que nous soyons le prochain Grateful Dead !
Benzine : Quel est votre pire cauchemar en tant que Meatbodies ?
Chad : Que nous arrêtions, tout simplement. Ce qui n’arrive que si vous arrêtez, donc, ça n’arrivera pas.
Benzine : Si vous n’étiez pas Meatbodies, qu’est-ce que tu serais ?
Chad : Euh, peut-être que je travaillerais dans le cinéma, dans la composition de musiques de films ou dans autre chose autour de ça. Avant que ma carrière ne commence, lorsque j’ai commencé à tourner avec Mikal Cronin il y a déjà bien longtemps, je devais rentrer en école de cinéma, mais je n’y suis pas allé, pour partir en tournée à la place…
Interview recueilli par Eric Debarnot le 12 juillet 2023
Meatbodies joueront à Petit Bain (Paris) le samedi 22 juillet et au Festival Folks-Blues de Binic le vendredi 28 juillet 2023.