Après le lumineux Leonard Cohen, Philippe Girard nous propose la biographie d’un second canadien, un ingénieur de l’armement surdoué au destin tragique.
Gerry est brillant et sûr de lui. Trop tôt orphelin, il se passionne pour le créateur du canon géant de De la Terre à la Lune. D’ailleurs, Jules Verne ne lui a-t-il pas promis qu’il réalisera ces propres rêves ? S’il le veut, s’il y consacre toute son énergie, ses canons révolutionneront les communications et propulseront courrier ou satellites pour un prix dérisoire. En attendant, le jeune ingénieur fait ses premières armes en concevant des canons pour le gouvernement canadien, puis pour ses « amis » de la CIA. Le prodige révolutionne la balistique et bouscule les hiérarchies militaires, ses tubes tirent plus loin que tous ceux des autres. Gerry prend goût à l’indépendance et se fâche avec la CIA, qui lui inflige 6 mois de prison. Amer, il s’installe en Belgique et travaille pour des États malaimés qui paient bien, tels l’Afrique du Sud de l’apartheid, la Chine communiste ou l’Irak de Saddam Hussein. On retrouvera ses prodigieuses pièces d’artillerie dans une quinzaine de pays, partout où l’on guerroie et, quelques fois, dans les deux camps !
Le dessin de Philippe Girard est d’une belle efficacité. Faussement naïf, il associe une classique ligne claire à un trait rapide et à des décors simplifiés. En quelques coups de crayon, il brosse une scène, saisissant le cynisme d’un espion, la roublardise d’un chef d’État ou la confiance trahie d’une épouse.
Le scénario s’inspire ouvertement de la vie mouvementée de Gerald Vincent Bull, qui fut assassiné, probablement par le Mossad, peu avant la Guerre du Golfe. Afin de lui rendre sa véritable humanité, il prend le parti de lui prêter des rêves de gloire et de paix. Ses canons devaient lui permettre, il se l’était promis, de bâtir sa grande œuvre, un gigantesque et pacifique canon.
Philippe Girard nous conte une triste histoire, qui nous amène à nous poser une question, comment, de petites compromissions en pactes diaboliques, un rêveur trop doué peut-il se muer en marchand de mort ? Si le traitement graphique est plaisant, avec de bienvenues séquences oniriques, le scénario, trop linéaire, peine à répondre à la question posée.
Stéphane de Boysson