Si le mix 2023 de l’Homme à la Tête de Chou, soit l’un des sommets de la chanson française, vaut en tant que version alternative, ses bonus sentent le remplissage…
Lorsque sort L’Homme à tête de chou, Serge Gainsbourg a déjà eu plusieurs vies musicales. Dans les années 1960, celle d’un hitmaker pour interprètes féminines de la chanson française et des « yéyés ». Et depuis le début de sa carrière, celle d’un auteur-compositeur-interprète en réinvention permanente, bien avant Dylan. Pour des albums aux ventes alors confidentielles dont la réputation a depuis grandi. L’Homme à tête de chou est le dernier d’une série de concept albums initiée avec Melody Nelson. Il est aussi le premier dans lequel Gainsbourg a massivement recours au talk over. Ensuite, ce sera le succès de scandale Aux Armes etc… qui lui donnera le statut de star dont il rêvait depuis ses débuts. Les chefs d’œuvre d’avant les années provoc’ finiront par se vendre. Et il produira de moins en moins de choses dignes de ses grandes années : quelques grands morceaux ici et là, la collaboration au superbe suicide commercial bashungien Play Blessures.
L’album sort dans une version remixée pouvant a priori susciter la méfiance. Les limitations techniques des années 1970 faisaient en effet que, pour ne pas noyer le talk over gainsbourgien dans les parties instrumentales, ces dernières devaient être mises en retrait. Et il est désormais possible aujourd’hui de remettre les parties instrumentales en avant sans que ça soit au détriment de la voix et du texte. Sauf qu’on n’est pas dans le cas d’un film dont la réputation aurait pâti parce qu’il a été remonté dans le dos de son réalisateur par un producteur hollywoodien. L’Homme à tête de chou était déjà le dernier grand album de son auteur dans la version que l’on connaissait jusqu’ici.
L’écoute commence donc en craignant d’assister à l’équivalent discographique du passage au numérique par Lucas des SFX des Star Wars. Le mixage en avant des instruments fait gagner au morceau-titre une dimension épique pas déplaisante. Mais ce côté épique est peu raccord du ton désenchanté du morceau d’ouverture. Et par la suite l’écoute donne l’impression que la partie instrumentale écrase ponctuellement la voix de l’interprète, en particulier pour les titres sur lesquels le clavier est fortement présent : c’est un peu dommage pour un album dont on écoute les textes autant que la musique lorsqu’on est francophone. Mais heureusement l’album est musicalement assez éclectique pour que ce mixage ne le pénalise pas dans sa totalité : morceaux en arpèges de guitare ici, reggae là, morceaux faits de percussions africaines et de bruitages atmosphériques par là-bas… Surtout, réécouter l’ancienne version donne le sentiment que ses parties instrumentales sont délavées.
Le nouveau mix a des airs de mix « pour l’export », pour ce monde anglo-saxon dont les musiciens célèbrent Gainsbourg pour ses arrangements (quand bien même la fascination pour l’enfant terrible et/ou le parolier peut aussi exister chez eux). Il est donc difficile de trancher entre les deux versions : elles coexistent. Versions instrumentales des morceaux et versions alternatives pliées au nouveau mix donnent en revanche l’impression d’être l’argument « inédit » servant de justification à une réédition « de luxe ». Seule la version alternative de Ma Lou Marilou diffère musicalement de la publiée car dépourvue des chœurs. Les versions alternatives ont des textes différents, mais cela se limite le plus souvent à de petites variantes ne représentant pas une découverte de première importance.
A chacun donc de décider, en fonction de son degré d’adoration pour l’œuvre de l’homme à tête de chou, si le rachat vaut la peine.
Ordell Robbie