Encore une superbe réussite de la collection Cover des Editions Layeur : que l’on aime ou pas Téléphone, le texte passionnant et passionné de Julien Deléglise fait qu’on ne peut s’empêcher de dévorer ce beau livre…
Pour la plupart des Français, le triomphe ultime du Rock français se nomme Téléphone, et il y a de grandes chances qu’il en soit ainsi pour toujours, étant donnée la marginalisation croissance de cette musique. Bien entendu, on pourra toujours dire que, par exemple, Noir Désir a été un groupe bien plus original, bien plus fort. Que la France a donné naissance à des centaines d’artistes ou de groupes de Rock talentueux, passionnants, originaux, et bien plus intéressants artistiquement que Téléphone. Mais peu importe finalement, Téléphone est Téléphone, quasiment intouchable, même s’il est facile – et assez courant – de se moquer de la voix et de l’inspiration éternellement adolescente de Jean-Louis Aubert, de ses textes de « petit malin » parfois maladroits. Et puis, il y a quand même ces cinq albums impeccables, dont l’un au moins est un véritable chef d’œuvre qui aurait, s’il n’avait pas été chanté en français, être un hit international, Au Cœur de la Nuit.
Bref, il est logique de voir la superbe collection « Cover » (du moins c’était son nom à l’origine, mais on s’éloigne peu à peu de l’idée originale qui était de parler surtout de l’album à travers son image, sa pochette) des Editions du Layeur consacrer un volume à Téléphone, après Pink Floyd, les Stones, Cohen et d’autres : finalement, Téléphone mérite sa place à côté de ces géants, même si leur impact fut hexagonal plutôt que global. Ce qui est intéressant, et ce n’est pas anodin, c’est que, comme ce fut le cas avec le Rolling Stones d’Alain Gouvrion, ce Téléphone bénéficie avant tout d’un texte remarquable de Julien Déléglise, journaliste et écrivain, mais surtout passionné de Rock : ce texte, riche de détails biographiques pas forcément connus – et même si on se perd parfois au fil des récits des conflits amicaux et amoureux entre les quatre membres du groupe – témoigne d’une passion pour le groupe, d’un enthousiasme pour sa musique, d’une volonté quasiment fiévreuse de transmettre cet amour au lecteur, qui rendent la lecture de Téléphone quasiment compulsive !
Bien sûr, l’histoire du groupe elle-même ne constitue qu’une moitié des 240 pages du livre, le reste étant consacré aux carrières en solo d’Aubert et Bertignac, qui sont forcément moins passionnantes : c’est néanmoins une partie du livre qui traite d’albums bien moins connus, moins importants aussi historiquement, moins Rock aussi (Aubert est allé peu à peu vers la chanson française, ce que l’on peut regretter) en nous donnant envie de les découvrir, ce qui est évidemment une excellente chose.
Et puis, il y a cette conclusion tellement émouvante, qui est a priori celle voulue par Aubert, Bertignac et Kolinka, avec le retour des Insus (les « Insu-portables », version du téléphone pour les années 2010), et cet au revoir / cet adieu final à un groupe qui représente pour beaucoup d’entre nous un adieu à des années plus gaies, plus rebelles, plus positives que celles que nous vivons aujourd’hui. S’il y a une chose que ce beau livre nous dit, c’est que notre monde, qui est déjà un « autre monde » aurait vraiment besoin d’un autre Téléphone.
Eric Debarnot