Ed Banger Records. Une histoire des musiques électroniques françaises : Pedro Winter, et l’électro française fût

Avant, il n’y avait rien, ou vraiment pas grand-chose. Pedro Winter est arrivé et la lumière a soudain brillé. Vous ne le croyez pas ? Lisez le livre. Vous le savez déjà ? Lisez le livre, c’est plein de citations et d’anecdotes sur celui sans lequel l’électro française (mondiale) n’existerait pas.

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© Mark Hunter thecobrasnake.com

Ce livre ne porte pas bien son titre. Il aurait plutôt dû porter le nom du fondateur d’Ed Banger que le nom du label lui-même. Car c’est bien Pedro Winter la véritable star, le centre, le personnage principal de cette histoire des musiques électroniques françaises (d’ailleurs, ce n’est pas non plus vraiment une histoire des musiques électroniques françaises, mais une histoire de la French Touch et de ses avatars qui est racontée). C’est avec Pedro Winter que le livre commence et avec lui qu’il finit, sur une citation de Patrice Bardot, rédacteur en chef de Tsugi : « Pedro Winter est vraiment vu comme une figure respectable et légendaire. Une figure patriarcale, de respectabilité qui personnifie son label et qui en arrive presque à personnifier toute la musique électronique française. Aujourd’hui, si on parle de musique électronique en France, si on veut s’adresser à des figures tutélaires, il y a Pedro Winter, Jean-Michel Jarre et Laurent Garnier. Ce sont les figures dominantes. À la différence près que l’aura de Pedro Winter est mondiale. »

Ed Banger Records, In Party We TrustVoilà, tout est dit. On a là, résumé, le parti pris et l’argument du livre. Sans Pedro Winter, rien n’aurait eu lieu. Il n’y aurait eu ni Daft Punk, ni DJ Mehdi, ni Justice, ni le reste, rien. En tout cas, pour être plus juste, c’est en grande partie grâce à lui que tout est arrivé. Bien sûr, ce n’est pas lui qui a le génie musical des Thomas Bangalter, Guy-Manuel de Homem-Christo, Gaspard Augé, de Xavier de Rosnay, de Mehdi Faveris-Essadi. Oui, ces musiciens auraient peut-être existé, mais n’auraient peut-être pas atteint les sommets qu’ils ont atteints. Ce que nous rappelle ce Ed Banger Records, c’est l’importance de ces middlemen, de ces individus qui savent presque tout faire, organiser, mettre en relation, repérer ce qui va et ce qui ne va pas, ce qui peut marcher et ce qui ne marchera pas. Et organiser tout ça pour que ça marche. Qui savent créer un lieu, physique et symbolique, qui attire les artistes. Ces génies aussi géniaux que les artistes eux-mêmes.

Fort de ce parti pris, Julia Pialat nous décrit la vie de Pedro Winter, avant les Daft Punk, et après, l’amitié avec DJ Mehdi, Cassius, Etienne de Crecy et les autres (bien d’autres), les rencontres, les clubs, les voyages, les concerts. Elle accumule les citations, les anecdotes qui parlent de Pedro Winter (et des citations de Pedro Winter également). Elle dit le rôle central joué par cet homme dans la naissance et l’évolution de cette partie de l’électro française qu’a été la French Touch, comment elle s’est développée grâce à lui et autour de lui. Elle parle aussi des rapports avec les autres labels, de ceux qui ont su prendre des risques, et l’importance du graphisme (de l’identité visuelle du label, avec les pochettes créées par So Me). Tout cela des premières raves jusqu’aux succès incroyables – jusqu’à une pleine page dans le New York Times en 2007, le Jimmy Kimmel Live pour Justice aussi en 2007 (comme l’écrit Julia Pialat, « Les années 2007 et 2008 seront pour le label Ed Banger son millésime »). Jusqu’à la dernière anecdote : quand, « en 2018, le palais de l’Élysée émet le souhait de convier des DJ à l’occasion de la Fête de la musique… c’est vers Pedro Winter que se tourne son instigateur ». Un succès incroyable, d’autant plus que ce n’était pas gagné. Si aujourd’hui l’électro est à peu près partout et si les journaux et chaînes de radio généralistes font des reportages quand Daft Punk se séparent, il faut se rappeler de l’époque, pas si lointaine, où l’électro n’était pas persona grata. Ni en France, ni ailleurs.

C’est vrai que le livre se termine quasiment avec le sommet d’Ed Banger. Il n’y a rien ou presque sur la suite, sur les autres générations d’artistes qui ont suivi. Il n’y a pas grand-chose non plus sur ce qui s’est (ou se serait) passé en dehors du label. Peu sur l’électro anglaise ou américaine qui aurait émergé et existé sans et en dehors d’Ed Banger. L’accent est mis sur une partie de l’électro française, intéressant et documenté. Et ça donne envie de ressortir ses vieux CDs de l’époque, de réécouter des albums des années 90, et du début des années 2000. Ce n’est pas si mal !

Alain Marciano

Ed Banger Records. Une histoire des musiques électroniques françaises
Essai de Julia Pialat
Éditeur : Séguier
448 pages, 22,90 €
Parution : 11 mai 2023