Une zone à défendre, film français sur les ZAD, reçoit des volées de bois vert du fait de sa production et diffusion par Disney+. Mérite-t-il autant de haine ? Ce n’est pas du tout notre avis…
Les combats locaux pour la défense de l’environnement, en particulier en France où la propagande étatique les assimile à une forme de terrorisme, n’ont guère suscité pour le moment d’intérêt au cinéma, et on ne peut qu’accueillir favorablement le fait que le premier film produit en France par la plateforme Disney+ soit consacrée aux ZAD. Bien entendu, le simple nom de Disney, soit une entreprise globale capitaliste et prédatrice difficilement défendable, a fait naître à l’annonce du film une levée de boucliers, et de critiques, avant même qu’une seule image ne soit disponible. Pire encore – à notre avis – nombre de commentaires sur Une zone à défendre sont teintés par ce préjugé qu’un film financé et diffusé par le monstre aux grandes oreilles ne saurait être honorable politiquement, et est forcément lénifiant.
Or, la réalité est beaucoup moins simple que cela. Une zone à défendre est le troisième long-métrage après Nos résistances (2011) et l’autre continent (2018), de Romain Cogitore, qui en a écrit le scénario : Cogitore, certes pas (encore) identifié comme un « auteur » par la critique française, n’a pas le profil de l’arriviste forcené qui renoncerait aux aspects les plus saillants de son projet pour plaire à Disney, et la participation de deux pointures comme François Civil et Lyna Khoudri en tête de la distribution rassure d’emblée : une zone à défendre n’est certainement pas ce qu’on qualifie péjorativement un « film de plateforme », et une sortie sur les écrans aurait été parfaitement logique vu ses qualités formelles. Pour faire court, il ne s’agit pas d’un chef d’œuvre, mais bel et bien d’un vrai « film de cinéma » qui surpasse une bonne partie des productions françaises actuelles…
… Et qui, à travers l’histoire de la rencontre entre Greg, flic infiltré chez des zadistes occupant une région qui sera inondée par la création d’un barrage, et Myriam, militante écolo convaincue, nous parle très frontalement de bien des maux de notre société française : la violence policière, montrée ici sans détour, mais aussi le cynisme du pouvoir politique qui crée et manipule des situations conflictuelles pour arriver à se fins, largement propagandistes. Oui, dans une zone à défendre, Greg est un salaud sans conscience, au service de l’état, et il lui faudra bien du temps pour réaliser la nécessité de sortir du système inhumain dont il est un rouage.
Au centre de l’histoire, il y a une histoire d’amour, ce qui est l’un des principaux reproches fait au film, qu’on accuse de sacrifier son sujet politique pour sombrer dans le mélo. Ce n’est pas ce que nous avons vu, pour notre part : une zone à défendre parle avant tout du trajet intérieur d’un homme qui va prendre conscience, en fréquentant ceux qu’il espionne, de valeurs différentes des siennes, que la société – et surtout le système au pouvoir – ne respecte pas, et veut faire disparaître. Bien sûr, la paternité est l’un des vecteurs principaux de ce changement, plus que l’histoire d’amour, qui est loin d’être romantisée dans le film.
Bien interprété, bénéficiant de plusieurs scènes de tension efficaces mais restant réalistes, une zone à défendre souffre quand même de baisses de rythme et de défauts dans sa narration (comme ces allers et retours de Greg entre ses deux vies, que le spectateur a du mal à « intégrer » réellement), comme dans sa mise en scène (il n’est pas certain que l’usage systématique du plan séquence dans l’introduction du film traduise de la manière la plus adéquate la découverte de la ZAD par Greg). Il se tire également une balle dans le pied avec une conclusion lourdaude (même si une coupe brutale nous évite le happy end) dont on se serait bien passé.
Eric Debarnot