Parmi nos belles découvertes récentes, revenons sur Oly Ralfe qui a publié en juin un album plein d’idées originales, de mélodies superbes, mais aussi d’une belle énergie libératrice, assez loin de l’intimisme de son travail antérieur.
Nous n’avons découvert Oly Ralfe et son Ralfe Band (à géométrie variable, il faut le préciser) que très tardivement : sur scène, en mars dernier à la Maroquinerie, en première partie de Gaz Coombes. Ralfe est, comme Coombes, originaire d’Oxford, et jouait en duo une musique paradoxale, qui avait enchanté une moitié du public séduite par des compositions aux mélodies littéralement magiques, et irrité l’autre (moitié) qui ne supportait pas l’amateurisme décontracté de l’interprétation, le chant parfois faux et le minimalisme de l’orchestration.
Achilles Was a Hound Dog est le quatrième album d’Oly Ralfe, qui est accompagné cette fois par un véritable groupe, des plus compétents, et même par quelques amis de poids (John Parish… !) – même si la philosophie d’Oly est de faire juste le nécessaire pour que les chansons resplendissent. Mais cinq ans se sont écoulés depuis Notes From Another Sea, son dernier disque, un disque totalement instrumental et particulièrement intimiste, et Ralfe revient avec une musique bien différente : extravertie, enthousiaste (on a même lu un critique comparant Pale Fire, le titre d’ouverture de Achilles Was a Hound Dog à un morceau d’Arcade Fire !). Une musique clairement destinée à être jouée sur scène, en format groupe. Mais, que les fans se rassurent, tout cela reste délicat, subtil, extrêmement personnel, tout en arpentant une grande variété de genres musicaux différents. Evidemment, le risque de cette approche est d’aboutir à un album qui s’éparpille, mais, grâce à la cohérence apportée par le chant d’Oly, d’ailleurs superbement soutenu par la voix d’Emma Faulkner, on passe sans coup férir d’un indie rock sombre à la Lou Reed / Velvet Underground à de la pop baroque comme seuls les Britanniques savent réellement en faire, en passant par de la new wave expansive.
Mais reprenons au début : « I’ve been staring at the stars / From the pavement down below / I watch a satellite go by / I’ve been wondering all night / Why everything is out of my sight » (Je passe mon temps à regarder les étoiles / Depuis le trottoir en bas / Je regarde passer un satellite / Je me suis demandé toute la nuit / Pourquoi tout est invisible). Pale Fire, c’est-à-dire Feu pâle, est le titre d’un livre de Nabokov, parfois considéré comme son œuvre la plus extraordinaire parce qu’elle combine fiction et métafiction (un poème et son commentaire qui le transforme en fait en fiction). On peut imaginer que cette démarche intellectuellement ambitieuse a stimulé Oly Ralfe dans la construction de plusieurs des chansons de son nouvel album, qui elles-mêmes mélangent curieusement des visions parfois fantastiques et une perspective plus intime quant à ces visions. Abscons, ou même simplement trop compliqué, me direz-vous ? Pas de souci, car ces textes sont posés sur des mélodies souvent immédiatement accrocheuses, caractéristiques d’une tradition pop music / rock « classique » : une musique qui n’a nul besoin d’être formellement expérimentale pour stimuler notre intelligence…
Parmi les chansons immédiatement séduisantes de l’album, citons par exemple Sirens, une fantaisie presque enjouée, en dépit de quelques images morbides, et qui rode du côté de The Divine Comedy (« There is a heap of dead men’s bones / Waiting to be found / I’m gonna go to find out /What the sirens sang / On the ocean long ago » – Il y a un tas d’ossements / Qui attendent d’être retrouvés / Je vais aller découvrir / Ce que chantaient les sirènes / Sur l’océan il y a longtemps) ; More than Enough, qui retrouve la grâce d’un jeune Lloyd Cole et aurait pu figurer sur Rattlesnakes (« I am a frozen thorn / I am a hidden lake / I am a hollow way / This is more than enough for me » – Je suis une épine gelée / Je suis un lac caché / Je suis un chemin creux / C’est plus que suffisant pour moi) ; A Day a Week a Month a Year, l’une des seules folk songs de l’album, réflexion apaisée sur le cours de la vie, témoignant d’une fragilité touchante (« So I’ll start the day as a little child / And I’ll run into the woods / Where I can feel wild » – Alors je commencerai la journée comme un petit enfant / Et je courrai dans les bois / Où je peux me sentir sauvage…).
Le titre éponyme, Achilles Was a Hound Dog, est une étrange construction, quasiment abstraite, à l’image de la pochette de l’album peinte par Oly lui-même, et la noirceur profonde de son inspiration contraste avec les éclats d’humeur plutôt rock de sa mise en musique, en faisant une sorte de modèle pour tout l’album : « I’ve been walking barefoot for days / Do you understand me now when I say these things? / There were no survivors / Anywhere I went and all the letters I sent / Were washed away by a biblical storm » (Je marche pieds nus depuis des jours / Est-ce que tu me comprends maintenant quand je dis ces choses ? / Il n’y avait aucun survivant / Nulle part où je suis allé, et toutes les lettres que j’ai envoyées / Ont été emportées par une tempête de dimension biblique).
Et si ces lignes enthousiastes ne vous ont pas convaincu de jeter une oreille sur ce disque joliment décalé par rapport aux tendances actuelles de la musique, tentez au moins l’écoute d’Ancients : voilà un morceau qui démarre comme une ritournelle électronique introvertie avant de s’envoler grâce à la voix magique d’Emma Fauklner, en dépit d’une sorte d’effritement de sa structure musicale. Une autre preuve que l’inventivité se trouve encore et toujours du côté de ces artisans discrets qui maintiennent en vie une certaine tradition du songwriting, sans avoir peur pour autant de ne respecter aucune règle.
Eric Debarnot