Influencé (un peu) par le Thin White Duke et (beaucoup) par les Fab Four, The Ballad of Darren n’est pas un album majeur de Blur. Mais c’est celui du passage réussi du cap de la trentaine.
Dans la série Cunk on Britain, le personnage de Philomena Cunk résumait parfaitement ce que fut la rivalité Blur/Oasis : Blur were a rock band locked into a notorious rivalry with Oasis. Oasis were rough-and-tumble lads from Manchester, whereas Blur were from art school, which is the opposite of Manchester. And that’s why they hated each other (Blur était un groupe de rock enfermé dans une rivalité notoire avec Oasis. Oasis étaient des gars brutaux de Manchester, alors que Blur venaient d’une école d’art, ce qui est à l’opposé de Manchester. Et c’est pourquoi ils se détestaient). Un combat remporté par Oasis sur le moment grâce à leur second (et meilleur) album best seller. Mais pendant que les Mancuniens précipitaient leur déclin avec Be here now, Blur larguait les amarres Britpop avec un Blur imprégné de Beck, Pavement et Pixies avant de s’affranchir de toute influence avec 13. Ensuite, les albums furent espacés de diverses escapades hors groupe. 8 ans après The Magic Whip, sort donc The Ballad of Darren, album constitué de chansons composées par Damon Albarn pendant la tournée 2022 de Gorillaz puis soumises au reste du groupe. On peut se demander pourquoi avoir fait cette fois un album de Blur et non un album solo.
L’album commence pas mal avec The Ballad, sorte de mélange entre pianos Lennon, chœurs Beatles, ton à la Everyday Robots décollant grâce à ses cordes. Qui introduit un des thèmes de l’album: la perte (I just looked into my life and all I saw was that you’re not coming back – Je viens de regarder dans ma vie et tout ce que j’ai vu, c’est que tu ne reviens pas). Avant que l’excellent single St Charles Square, sorte de Carnavoyeur de l’album, justifie le choix de ne pas avoir fait un album solo de plus : seul Graham Coxon pouvait rameuter les ombres de Fripp et d’Alomar sur ce morceau à la Bowie période Scary Monsters. Barbaric va ensuite résumer ce qui fait fonctionner l’album : des petits touches, des détails déjouant sur le fil l’impression de déjà entendu. Comme cette combinaison d’une boite à rythmes évoquant l’album Everyday Robots et d’arpèges pour faire de la pop ligne claire sans faire dans le revival eighties. La perte revient, cette fois au niveau émotionnel (I have lost the feeling that I thought I’d never lose – J’ai perdu le sentiment que je pensais ne jamais perdre). Dédié à Leonard Cohen, l’émouvant The Everglades débute en ballade acoustique beatlesque avant l’arrivée d’une boite à rythmes et de cordes. Mais entre les deux les petites touches Philly Sound de Russian Strings ne suffisent pas cette fois à faire oublier le déjà entendu John et Paul. En outre, le texte enfonce des portes ouvertes sur l’incommunicabilité à l’heure connectée (The tenement blocks came crashing down. With headphones on you won’t hear that much – Le bloc d’immeubles s’est effondré. Avec des écouteurs, tu n’entendras pas grand-chose).
Déjà connu, The Narcissist incarne une forme de savoir faire, savoir appliquer une recette. Mais c’est cette façon de recuisiner les ingrédients The Great Escape sans l’émotion qui m’a laissé sceptique. Le gimmick du synthé 1980s de Goodbye Albert ne convainc pas non plus. Avant que l’album ne se redresse dans la dernière ligne droite. Far away island réussit à faire cohabiter l’ombre du quatuor liverpuldien avec un tempo proche de la valse. Et si appeler en 2023 un morceau Avalon relève du même culot que de le nommer Monkey gone to heaven, la ballade démarre sur les chapeaux de roue avec ses cuivres avant de finir sur un plan de guitare recyclant Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Avec en toile de fond une insatisfaction une fois le bonheur atteint (What is the point in building Avalon if you can’t be happy when it’s done? – Quel est l’intérêt de construire Avalon si vous ne pouvez pas être heureux quand c’est fait ?). Enfin, The Heights débute sur une guitare acoustique Bowie early seventies pour se finir dans la saturation. Ainsi que sur une note d’espoir (I’ll see you in the heights one day. I’ll get there too. I’ll be standing in the front row next to you. – Je te verrai sur les hauteurs un jour. J’y arriverai aussi. Je serai debout au premier rang à côté de toi). L’album est celui d’un Albarn regardant passé et présent en constatant ce qui a été perdu (les émotions, les êtres) pour rebasculer dans l’optimisme. Un album de mid-life comme on dit. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’Albarn fut avec Blur plus inspiré comme parolier lorsqu’il était sur un terrain moins personnel, celui du tableau de l’englishness façon Madness/Ray Davies (la paire Parklife/The Great Escape).
L’album n’est pas un Blur majeur mais il fonctionne grâce à un ton d’ensemble d’une tristesse douce. Et sa façon de flirter avec le déjà fait sans tomber dedans sur le fil est presque le résumé de la carrière du groupe. Là où d’autres ont pratiqué le virage à 180 degrés en espérant qu’un nouveau public remplace la fraction des fans restée sur le carreau, le groupe a toujours su éviter la redite sans se couper de la base.
Ordell Robbie