Entre le peintre morose et la jolie coiffeuse aux doigts de fée, une belle histoire d’amour va naître : mais le bonheur – surtout « malgré soi » – est-il compatible avec l’art ? C’est la question que pose Du bout des doigts, une histoire très futée et qui nous enchante, de Cyril Bonin…
De Cyril Bonin, que nous ne connaissions pas bien, nous avions particulièrement apprécié le dernier album, Les Dames de Kimoto, paru l’année dernière, et nous avions hâte de retrouver son dessin, à la fois dynamique et élégant, sur une histoire qui lui soit propre… Et il faut reconnaître que la très belle réussite que constitue son nouveau livre, Du bout des doigts, confirme que nous avions raison d’attendre le meilleur de lui.
L’histoire que nous raconte Du bout des doigts, tout d’abord, s’avère des plus singulières : Paul est un artiste-peintre, qui rechigne à se qualifier lui-même « d’artiste », qui a du mal à se définir, à la fois comme peintre et comme personne. A la limite de la dépression, il voit tout en noir, et se complait d’une certaine manière dans des poses cyniques. Jusqu’au jour où une rencontre improbable avec une employée d’un salon de coiffure, Mathilde, va changer du tout sa perspective sur son art…
Est-il possible d’être « heureux » malgré soi ? Peut-on créer des œuvres d’art valides si l’on est heureux ? Et, car c’est d’emblée le débat qui s’instaure dans les premières pages du livre, au cours d’une scène hilarante de discussion acharnée entre « artistes » parisiens plus ou moins prétentieux, qu’est-ce que l’intégrité artistique ? Le refus des « écoles » de pensée, de styles ? La recherche de nouvelles formes ? La poursuite d’une certaine vérité qui vous est propre ? Tout un tas de questions – et d’autres encore – qui sont posées, directement ou indirectement, par Bonin, à travers un scénario très malin, puisque conjuguant la rom com avec le fantastique, dans une ambiance qui tourne même vaguement au thriller. Mais le tout avec un joli côté « feelgood » peu commun en BD. Et des larmes aux yeux quand on referme le livre. Mais on n’en dira pas plus, pour laisser au lecteur le plaisir de la découverte. De la surprise.
Et puis, Du bout des doigts se déroule dans les années 60, une période que Bonin n’idéalise pas, mais qui constitue un cadre crédible à des ambitions artistiques de jeunes gens, ambitions qui n’auraient plus guère de sens aujourd’hui. Illuminées par les couleurs chaudes de la palette de Cyril Bonin, les vies de Paul le dépressif et de Mathilde la dispensatrice de bonheur nous semblent, vues de 2023, pas si loin que ça de vies idéales. Oui, décidément, Du bout des doigts nous divertit, mais nous fait aussi beaucoup de bien.
Eric Debarnot