Si le courage d’Emmanuel Macron à installer Gisèle Halimi au Panthéon est inversement proportionnel à celui de cette grande dame qui fut présente sur tous les fronts contre les injustices, ce livre représente en revanche (!) un très bel hommage.
Avocate et militante infatigable des droits de l’Homme, Gisèle Halimi s’est attelée toute sa vie à tenter de rendre le monde meilleur. A titre d’hommage trois ans après sa mort, cette biographie dessinée, en évoquant sa jeunesse en Tunisie, nous permet de comprendre ce qui a forgé l’identité de cette icône de la cause féministe, dont la forte personnalité a fait vaciller bien des forteresses patriarcales.
La biographie officielle de Gisèle Halimi, tout le monde la connaît plus ou moins dans les grandes lignes, et il suffira de consulter sa fiche Wikipédia pour se rendre compte de la liste impressionnante de ses combats, qu’il s’agisse de l’indépendance de l’Algérie ou du droit à l’avortement. A bon escient, les auteurs ont choisi de se concentrer sur une période plus méconnue, celle de son enfance passée en Tunisie, jusqu’à son arrivée à Paris où elle avait décidé d’étudier le droit à la Sorbonne. Le reste de sa carrière est résumé dans un cahier de quatre pages en fin d’ouvrage.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les choses avaient bien mal commencé pour la petite Gisèle. Juifs pratiquants de condition modeste, ses parents ne voulaient pas de fille et sa mère vécut sa naissance comme une malédiction. Si le père finit par l’aimer passionnément, son épouse ne lui prodigua aucune affection maternelle, considérant que le rôle des femmes était de servir les hommes, ce contre quoi sa fille n’eut de cesse de se rebeller. D’une belle fluidité, le récit, scénarisé par Danièle Masse, docteur Es Lettres à l’université de Toulon, nous montre que la future avocate s’est construite en opposition à sa mère et à son éducation, rejetant avec une énergie hors du commun toutes les injonctions à accomplir les tâches traditionnellement dévolues aux filles. Gisèle ne voulait pas faire le ménage ni servir ses frères. Son obsession était d’étudier, non seulement pour s’extraire de sa condition mais pour affuter ses « armes » face à l’injustice vis-à-vis des femmes qui la révoltait plus que tout. Par ailleurs, le mouvement de décolonisation qui affecta également la Tunisie contribua à forger sa conscience politique.
Cette biographie est brillamment servie par le talent graphique de Sylvain Dorange. Celui-ci démontre à chacune de ses publications sa maîtrise stylistique : sobriété du trait semi-réaliste allié une finesse d’exécution que l’on retrouve dans la palette des tonalités. L’atmosphère méditerranéenne — ce magnifique ciel ! — est très bien mise en valeur. On croirait par moment sentir des effluves de fleur d’oranger — une observation qui bien entendu ne vise aucunement à faire un jeu de mot (facile) vis-à-vis de l’auteur !
Gisèle Halimi, une enfance tunisienne constitue un très bel hommage à cette femme de combat mais aussi de cœur, à cette citoyenne du monde qui afficha tout au long de sa vie une dignité et une humanité sincère dans des revendications légitimes qui, tout en libérant la femme, devaient également contribuer à libérer l’homme. Mais la militante fut souvent traitée avec condescendance voire mépris par la classe politique — ou devrais-je dire les « hommes politiques » ? Ce type d’ouvrage est typiquement celui qu’on aimerait voir figurer en bonne place dans les bibliothèques, et si en outre il concerne la jeunesse de cette grande nana qu’était Halimi, il pourrait inspirer bon nombre de collégiennes en quête d’affirmation d’elles-mêmes.
Laurent Proudhon
Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne
Scénario : Danièle Masse
Dessin : Sylvain Dorange
Editeur : Delcourt
Collection Encrages
136 pages – 17,95 €
Parution : 15 février 2023
Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne — Extrait :