[Interview] Yard Act : « À Leeds, on ne célèbre pas les années 80 »

Yard Act viennent de Leeds et fusionnent post-punk et brit-pop avec mordant. Plus tôt dans la soirée, leur concert aux Eurockéennes de Belfort fut intrépide. James Smith (chant), Ryan Needham (basse), Sam Shipstone (guitare) et Jay Russell (batterie) sont donc satisfaits. Leur premier album The Overload paru en 2022 et une belle poignée de singles les positionnent comme des prétendants à la scène rock britannique actuelle.

Yard Act aux Eurock par Mathieu Marmillot

Benzine : Ton chanté-parlé est tendance et typiquement britannique. Considères-tu Mark E Smith (1957-2019), le chanteur de The Fall, comme précurseur ?

James: Oui, sans souci. Il a développé un style parlé-chanté qui ne cherche pas forcément l’approche mélodique. Du coup, je trouve que ses textes gagnent en puissance.  Au début de Yard Act, j’ai essayé de trouver mon propre style, aussi bien dans la teneur des textes qu’en y ajoutant une ligne plus pop. Mais son chant est plus noisy que le mien. Après, à chacun de se forger son propre style, mais même Mark E Smith a dû être influencé par d’autres.

Benzine : Avec un certain humour, tu dénonces les injustices. Tu as visiblement une conscience sociale.

James : Oui en tout les cas je l’espère. C’est quelque chose qui fait partie de moi.  Et c’est difficile de ne pas avoir de conscience sociale, car la situation est quand même difficile en ce moment. J’essaie de partager cette conscience, mais je ne suis pas à la place des auditeurs. Ma conscience sociale me pèse tous les jours. Cela ne veut pas dire qu’elle me guide de manière obsessionnelle, au point de développer des rancœurs.

Sam : C’est un véritable challenge que de faire passer des idées qui ne sont pas forcément partagées par la majorité. Il aurait été agréable d’être égoïste en ces temps. Et si on choisit d’ignorer cette dimension sociale, on en payera le prix.  C’est un défi, mais pas un exploit.

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© Deadly Sexy Carl

Benzine : Musicalement, comment se porte l’Angleterre ?

James : Je pense qu’il y a toujours de grands artistes qui proviennent du Royaume-Uni. Certains jouissent d’un bon coup de projecteur en ce moment. Le fait qu’un  groupe comme le nôtre a une bonne visibilité profite aussi aux  jeunes groupes.

Sam : Après, ça dépend. Être un bon groupe en Angleterre n’attire pas toujours l’attention, tu sais. Il n’y a jamais eu autant de bonnes musiques qu’actuellement. Mais c’est la presse qui influence et qui peut donner un vrai coup de main à la carrière d’un groupe. Et ils sont nombreux, ces bons groupes, à toujours jouer dans les mêmes sous-sols, devant 50 personnes.

Ryan : Les conditions sont plus dures. Cela fait trente ans que nous avons les mêmes gouvernements qui ne font pas grand-chose pour la culture pop. Tu n’as pas un seul groupe cette année au festival de Glastonbury qui soutienne ce gouvernement. Mais rien ne bouge. Chaque nouvelle règle rend les choses de plus en plus difficiles. Vous savez, c’est comme pour les pubs et salles de concerts qui ferment depuis la pandémie. Voyager en Europe est devenu compliqué. Ouais, c’est définitivement angoissant.

Benzine : Avez vous déjà un nouveau projet en court ?

James : Nous avons terminé l’enregistrement du prochain album qui sortira début 2024. En attendant nous venons de sortir un single The Trench Coat Museum, co-produit par Remi Kabaka Jr. de Gorillaz.

Benzine : Vous privilégiez les formats courts ?

Sam : C’est difficile à dire. Ouais. Avais-tu entendu beaucoup de nos singles avant ?  Je sais que, pour certains groupes, réunir tous les singles sur un album est la meilleure façon de vendre le long format. Personnellement, je suis plus à l’aise avec les albums même si nos singles n’y figurent pas.

James : L’enregistrement d’un album raconte une histoire, et qu’elle soit vraie ou pas, c’est une déclaration artistique en soi, mais je pense que les deux peuvent coexister. Lorsque nous écrivons des singles, nous ne les mettons pas sur nos albums parce que ça n’aurait pas de sens. Nos albums ont leur propre truc. Mais, tu sais, pour moi, les singles c’est plus excitant. L’album c’est, euh… c’est un peu comme fumer un joint et que tu dois le faire passer.

Yard Act – The Overload : “Debout, main dans la main, regardant le monde brûler”

Vous venez de Leeds, une ville qui a une forte tradition hardcore et post punk. Je pense à des groupes comme Eagulls, Gang Of Four, Mekons ou Violent Reaction’s. Ces groupes vous ont ils marqués ?

Sam : Musicalement, Leeds est une véritable jungle musicale. Alors oui, on connait les Gang Of Four, Eagulls ou Violent Reaction’s. Il y a toujours eu des scènes intéressantes. Nous avons signé Thank, un super groupe de Leeds, sur notre propre label Zen F.C. Sinon George Mitchell, le chanteur  d’Eagulls, continue et reste fidèle à ce qu’il faisait.

James : On retrouve dans la guitare de Sam quelques éléments plus hardcore ou noisy, alors que Ryan apporte une touche plus P-funk. Sans doute un héritage inconscient.

Benzine : Leeds est une ville qui exprime facilement sa colère ?

Ryan : C’est une ville cool comme Brighton, vous savez, il y a beaucoup d’étudiants.

Sam : Oh, c’est une ville quand même plus agressive. Il y a effectivement beaucoup d’étudiants. Il y a cinq collèges. Les gars de Gang of Four  fréquentaient ces écoles lorsqu’ils étaient étudiants à Leeds. C’est juste une ville extrêmement multiculturelle, contrairement à d’autres. Mais sans ces foutus hippies !

Ryan : Les factions et les divisions de classe existent à Leeds, et elles sont inhérentes à l’endroit d’où vous venez, le monde a changé et pas forcément en bien.

James : Tu sais, les usines de Leeds n’existent plus vraiment, ce sont surtout des employés de bureaux et des graphistes qui sont majoritaires dans cette ville. Et puis Leeds est entourée de terres agricoles, de domaines et de verdure. Ce sont les landes du Yorkshire. Tu peux facilement accéder à la campagne à partir du centre-ville.

Sam : Il est difficile d’expliquer ce qui est génial à Leeds, les gens sont plutôt sympathiques, et j’adore ça. La ville t’offre un cadre de vie assez cool, et c’est plutôt une chance.  Je peux toujours rester paresseux sur le plan créatif, même si j’ai l’impression de me reposer parfois sur mes lauriers. Et ici à Leeds, on n’est pas à célébrer constamment les années 80…

James : Il n’est jamais mention de l’ombre de Manchester, qui n’est qu’à une heure de route de Leeds. Manchester peut se plaindre, il ne s’y passe plus grand-chose, et la ville est obsédée par son héritage musical.

Benzine : Pourriez-vous me refiler quelques adresses incontournables à Leeds ?

Tous ensemble : One, two, three Brudenell Social Club !

James : Le  Brudenell Social Club est pas mal. C’est le meilleur club pour y voir des groupes.

Sam : Oh, les clients y sont parfois assez énervés. Mais il y a plein de gens vraiment sympas qui y trainent.

Jay : Tu peux faire un saut à l’Eagle Tavern, c’est vraiment top.

Ryan : J’adore le Chemic Tavern. C’est plutôt bien comme nom, non ?

James : Et puis il y a beaucoup de sortes de brasseries de bières de taille moyenne à Leeds. J’adore la Leeds Brewery, une bière locale.

Tous ensemble : Yeah !!!

Interview et photo par Mathieu Marmillot le 30 juin 2023 au festival Les Eurockéennes de Belfort

[Live Report] Les Eurockéennes de Belfort 2023