Gros contingent australien cette année au Festival de Binic, qui en devenait pour le coup l’un des incontournables de l’été. On vous raconte le samedi…
Il n’est pas facile de rejoindre le festival de Binic, les municipalités avoisinantes n’ayant pas prévu d’augmenter le nombre de bus pour répondre à la demande croissante des festivaliers alors que l’affiche devient de plus en plus alléchante chaque année… mais on finit par arriver à pied d’œuvre. Le temps est bien breton, ce qui nous change agréablement en fait des canicules incendiaires qui règnent sur l’Europe du Sud : nous avons droit à une petite bruine et à une température ne dépassant pas les 20 degrés (et qui chutera à 15 pendant la nuit…).
17h00 : les Australiens de Lunatic – en provenance de Melbourne – ouvrant la journée sur la scène Banche – la « grande » scène, qui, pour un festival à taille humaine comme Binic, n’est heureusement pas très grande… – doivent être un peu surpris par le crachin. Heureusement, leur punk hardcore – même s’il est qualifié de Fuzz Rock – reste virulent, devant un public encore clairsemé. C’est du brutal et du sauvage, ça laisse bien présager de cette journée de samedi. Au bout de 30 minutes, ils nous promettent qu’ils vont accélérer, ce qui fait toujours plaisir à entendre. Le son est superbe, fort comme il faut tout en restant clair et équilibré. Il y a des échanges de sourires entre les musiciens et le public du premier rang. « Plus qu’une et on va se bourrer la gueule avec vous », annonce le chanteur avant un dernier brûlot. Promesse tenue car ici, en Bretagne, la bière coule à flots, ce qui nous vaudra malheureusement quelques incidents plus tard avec des spectateurs bien imbibés !
18h15 : étonnamment, les Anglais (de Brighton) de Top Left Club ont une allure (délicieusement ringarde…) de Dictators circa 75, tout au moins si les Dictators avaient porté des joggings assortis. Ils jouent un garage rock festif, comme si les Fleshtones avaient durci le ton. Deux références qui ne semblent pas forcément compatibles mais que TLC conjuguent avec humour. C’est à la fois spectaculaire scéniquement – avec des poses rituelles qui évoquent les cérémonies des Fleshtones, justement, excitant et drôle. Il est juste dommage que les compositions ne soient pas assez mémorables pour élever tout ça un peu au-dessus de l’ordinaire. Mais il y a en tout cas une bonne énergie positive qui fait plaisir, et qui réjouit le public de Binic alors que le soleil est revenu : 40 minutes bien rock’n’roll déjanté comme on aime…
19h30 : dans le nom du festival, il y a blues, et c’est à Shake It Like A Caveman qu’incombe la responsabilité de représenter le blues ! L’homme-orchestre australien a heureusement toutes les compétences pour le faire : une excellente voix, une versatilité indéniable dans son jeu de guitare, et un look parfait. On est un peu surpris quand il attaque son set par une reprise du Floyd, mais pourquoi pas ? Plus loin, on aura droit à une très bonne interprétation de Tom Petty, et à une version heavy de Rebel Rebel de Bowie… Même si c’est dans le registre du blues plus roots qu’on le préfère, avec par exemple une délicieuse partie de slide guitar sur un blues du Mississipi… Il nous offre aussi funky party à l’orgue saturée irrésistible… et un final blues rock particulièrement enlevé, qui soulève l’enthousiasme général. Palme de la sympathie et du plaisir pour cette première journée, et la preuve qu’on peut faire un petit triomphe en restant simple et efficace !
20h45 : vêtu d’un drôle de pyjama rayé, le visage couvert de fond de teint blafard qui lui confère un air malsain de mort vivant en plein soleil couchant, les yeux dissimulés derrière des lunettes noires, le géant qu’est Jack Ladder est accompagné d’un seul acolyte – coiffé d’une casquette à la Sherlock Holmes – aux claviers et à la guitare. C’est la première prestation de la journée que nous attendons particulièrement, étant donné le coup de cœur qu’a été pour nous son album Tall Pop Syndrome.
On commence par deux chansons folks : d’abord son premier succès – enfin, en Australie -, Hurstville, suivi d’un magnifique Come On Back This Way, qu’il est impossible de ne pas chanter avec lui, même si c’est la première fois qu’on l’entend ! Et puis on passe aux 4 titres les plus accrocheurs du nouvel album, dans un registre synth pop minimaliste : Home Alone (qui s’envole sur un final intense, quand Jack cite tous les musiciens qu’il aime et sur la musique desquels il danse, seul à la maison…), The Lovers Loved Me (sur lequel Jack s’agenouille dans une offrande à la Cohen, l’une de ses idoles absolues…), Game Over (une chanson qu’il explique traiter de la disparition d’un dauphin en Irlande !), et enfin le très joueur Lombard Street (y aurait-il quelque chose de Sparks dans cette ritournelle aux claviers ?).
On revient aux guitares acoustiques pour une chanson d’amour – « la plus belle qu’il pouvait écrire », nous dit-il, puis Susan, un final qui est aussi celui de sa tournée européenne. Il nous explique qu’il parle dans la chanson d’une femme, handicapée suite à un grave accident, qui danse dans ses rêves avec son mari : c’est un moment qui s’avère un peu gênant quand Frank se rend compte de la présence de deux personnes handicapées, dont un artiste qui le dessine, dans la fosse, mais Frank descendra ensuite à leur rencontre, dans un geste très élégant. C’est aussi un final lyrique et superbe, qui nous confirme la grâce de cet artiste différent, à la voix d’ailleurs moins semblable à celle de Nick Cave en live que sur album. Il faudra le revoir dans un cadre plus intime qu’un festival en plein air, où sa magie assez précieuse fonctionnera sans doute mieux.
22h 00 : Le groupe pour lequel on est venu, avant tout, à Binic : Cash Savage and the Last Drinks ! Une intensité invraisemblable, « à la Nick Cave » (la filiation Bad Seeds via Conway Savage) sur un rock incandescent, urgent, tranchant. Et, sans surprise, déjà les larmes aux yeux sur le premier titre, tellement c’était fort, tellement c’était beau !
Malheureusement, le set a tout de suite connu un creux, la faute à un public imbibé et violent, qui n’a vraiment pas fait honneur à la Bretagne. Cash a été obligée d’intervenir la première, en plein milieu du second morceau, pour réclamer du respect vis-à-vis les uns des autres, et croyez-moi, quand Cash fait les gros yeux, c’est impressionnant, il n’y a personne qui rigole à ce moment-là ! Mais il a fallu que le service d’ordre, un peu débordé, fasse intervenir son joker, une créature colossale semblant sortie d’un film hollywoodien, qui est entrée dans la fosse et a fait régner la terreur quelques minutes pour calmer les ivrognes. Impressionnant !
Il nous a fallu un peu de temps ensuite pour nous replonger dans la musique, et c’est bien dommage. Mais, heureusement sur les une heure cinq de concert, Cash et ses sept musiciens, tous à fond ont tout fait pour que le rock tranchant, brûlant du groupe, et les incantations impérieuses de la Savage nous emportent une fois encore au firmament. De Keep Working At Your Job à l’immense Rat-A-Tat-Tat, pas un morceau faible, que du rock brillant, passionné, porté par deux guitares furieuses, et un violon qui n’était pas en reste. Reste qu’un concert de Cash Savage, c’est à peu près impossible à décrire, il faut le vivre !
23h40 : On regrettait un peu que Frankie & The Witch Fingers passent après le sommet qu’est un set de Cash Savage, mais les Californiens fous ont été d’une brutalité sans égale, d’une frénésie insensée, ce qui s’est avéré une belle manière aussi de finir la nuit. Une heure de déferlante punk jouée à trois cents à l’heure, avec un son très fort, très dur, très métal presque, chaque chanson venant rajouter une couche d’hystérie sur la précédente. Il est difficile de parler de plaisir tant tout cela est radical, mais il faut admettre que voilà un groupe qui impressionne.
La fosse était évidemment en ébullition, les coups pleuvaient sur nos dos alors que nous résistions au premier rang, les slammers s’écrasaient sur nos têtes, mais, après 45 minutes de ce traitement, même les plus acharnés n’en pouvaient plus : la fin du concert, alors que le groupe accélérait encore le rythme, fut paradoxalement plus calme dans le public !
Une anecdote amusante : c’était la première fois que nous voyions un mosh pit et des slammeurs PENDANT LA BALANCE du groupe !
Voilà, ce samedi parfaitement roboratif est terminé, il nous reste – totalement essorés – à gagner les navettes qui doivent nous ramener à bon port, pour quelques heures de sommeil avant un dimanche qui devrait être lui aussi passionnant !
Texte et photos : Eric Debarnot