Pas facile à lire, voire à avaler, ce dix-septième tome de Donjon Monsters, prolongeant la saga Crépuscule ! Entre la complexité de l’histoire, la radicalité des situations et les choix graphiques, il y aura forcément des lecteurs enchantés et d’autres déçus…
La branche Monsters du Donjon était, rappelons-le, sensée au début raconter des histoires « complètes » parallèles au récit principal, centrées autour de protagonistes centraux ou secondaires de la saga. Elle est pourtant devenue depuis longtemps une sorte de centre de la narration du Donjon, ajoutant de la substance à des événements seulement esquissés dans Potron Minet, Zénith et Crépuscule, expliquant des transitions parfois improbables entre des albums, etc. Bref, Monsters est désormais une sorte de ciment qui fait tenir ensemble toutes les pierres, parfois branlantes, du Donjon…
Le corollaire de cette approche est que chaque volume de Donjon Monsters est truffé de références à des situations et des personnages apparus ailleurs, et est donc de plus en plus illisible – car incompréhensible – à qui ne connaîtrait pas bien TOUTE la saga, ou, pire (car cela nous concerne nous aussi, qui suivons Trondheim et Sfar depuis le début de cette aventure), qui ne se souviendrait pas de TOUT ! Honnêtement, il est tout à fait admissible d’avoir oublié qui était Sonia ou Orlawdow, non ? Et donc de passer à côté de l’humour, de l’ironie ou de la cruauté de leur évolution, de leur destin…
Un héritage trompeur s’inscrit à la toute fin de la période Crépuscule, après la « Fin du Donjon », et suit les efforts de Papsukal pour se débarrasser de la « présence » de Blaise Pilozzi, le mage avec lequel il partage son corps. Pour ce faire, il décide d’utiliser les pouvoirs d’une sorcière maléfique, Sonia la maigre, ce qui ne lui vaudra que des ennuis. En cohérence avec l’univers de Crépuscule, Un héritage trompeur est sombre, sinistre même, violent et pessimiste, et l’humour est réduit à la portion congrue. Le problème est que Sfar et Trondheim ont voulu probablement trop en mettre dans un scénario qui multiplie les pistes, les sujets, les scènes qui s’éparpillent : peu à peu le lecteur lâche la barre, et termine le livre en pilotage automatique. Trop compliquées, ces histoires de luttes entre courants de la magie, même si l’on espère que ce tome soit en fait une sorte de point de départ à de nouvelles pistes narratives, qui relancent Crépuscule dans des directions inédites ! Attendons donc pour voir, même si pour le moment, on n’est pas vraiment convaincu.
Pour mettre en image une histoire aussi complexe aux détails aussi extrêmes (beaucoup de cruauté, de sang, de tripes et de violence, sans vraiment de second degré), le choix de Sfar et Trondheim s’est porté sur le graphisme moderne, ultra lisible en dépit du foisonnement de personnages et d’actions, de Bertrand Gatignol, et sur une approche narrative qui se rapproche des codes du manga. Ça a été clairement une bonne décision, car cela confère à Un héritage trompeur une véritable originalité par rapport au reste du Donjon, sans parler d’une évidente modernité formelle… qui risque néanmoins parfois de désarçonner les éternels défenseurs de la BD franco-belge face à l’invasion des mangas et des comic books.
Bref, voici un volume pas complètement satisfaisant, un tantinet déstabilisant, mais qui marque peut-être une transition dans le Donjon. La suite nous le dira.
Eric Debarnot