Il ne faut jamais raconter un Dupieux, et laisser au spectateur la surprise de la découverte. Et pourtant, avec Yannick, la surprise laisse la place à une comédie qui nous parle, et de manière beaucoup moins absurde qu’à l’ordinaire, de nous, de nos rapports, de l’art et de notre pays.
Quand on va voir le nouveau Dupieux, on sait parfaitement à quoi s’attendre : un concept génial à la base, de bons acteurs qui se régalent, des scènes hilarantes, avec le potentiel pour devenir « cultes » (enfin, si on était toujours à une époque où les répliques d’un film pouvaient devenir « cultes ») et puis peu à peu, une sorte de délitement du film, avec une fin bâclée, peu convaincante. Comme si Dupieux, malgré le court format de ses films, trouvait toujours le moyen de s’ennuyer et expédiait tout ça pour passer à autre chose.
Quand on va voir le nouveau Dupieux, on ne sait jamais parfaitement à quoi s’attendre : on sait qu’on sera surpris, soit par le sujet du film, soit par l’approche narrative, par les dialogues, par quelque chose qui de toute manière déviera par rapport aux règles de base de la manière dont on « doit faire du cinéma ».
Yannick, le nouveau Dupieux, répond à ces deux critères, au point même qu’on se dit à un moment que ça serait bien que Dupieux arrête de vouloir nous surprendre, parce qu’il ne nous surprend plus vraiment. On a pourtant imaginé a priori que la fin serait, cette fois, plus soignée, parce que la durée s’est encore réduite par rapport aux standards des films précédents : une heure et quatre minutes, c’est plus un format de moyen métrage, non ? Mais Dupieux parvient quand même à nous frustrer avec sa fin… même si l’on a le droit de penser que le long écran noir final est finalement un parfait message politique – oui, oui ! – par rapport aux discussions actuelles sur les violences policières, non ?
Bon, on avait deviné sans peine l’histoire de Yannick, au vu des trois mini bandes annonces diffusées avant la sortie : navré par la médiocrité d’une pièce de théâtre de boulevard à la quelle il assiste, un spectateur excédé décide de prendre les choses en main pour créer une œuvre plus susceptible de divertir le public. Unité de lieu, de temps et d’action, la règle des trois unités de la tragédie classique est parfaitement respectée, et Yannick adopte donc un classicisme paradoxal pour Dupieux, même si une ellipse importante est opérée pendant un passage qui serait trop fastidieux. Sur scène, Pio Marmaï fait du Pio Marmaï, et le passage où son personnage pète les plombs correspond sans doute trop à ce que l’on attend de lui pour nous intéresser : c’est le moment le plus faible du film, qui se rattrape heureusement ensuite, nous offrant une montée d’émotion aussi paradoxale qu’indéniable. Blanche Gardin, quant à elle, est plus décalée, mais c’est surtout l’encore peu connu Raphaël Quenard qui emporte le morceau, et élève Yannick à la hauteur des meilleures réussites de Dupieux.
Réflexion sur la pertinence de l’Art dans la vie quotidienne de l’homme ordinaire, sur l’arrogance des artistes comme sur le manque de respect de l’autre qui est de plus en plus endémique dans la société française (sans parler d’une multitude d’autres sujets tout aussi intéressants qu’il vaut mieux laisser le spectateur découvrir par lui-même), Yannick se détache de la veine « absurde » habituelle du cinéaste : presque vraisemblable, l’histoire que nous raconte ici Dupieux est ce qui ressemble le plus à un discours politique sur l’état général du pays, mais aussi sur le désarroi profond que nous ressentons tous… et c’est finalement là, la vraie surprise du film. Ce qui n’est pas rien.
Eric Debarnot