L’été est une période particulièrement propice à la culture des navets dans l’obscurité des salles de cinéma : une expérience que nous avons à cœur de vous faire partager avec, comme exemple, l’inénarrable En eaux très troubles.
Comme si les blockbusters US à énorme budget ne suffisaient pas à nous détruire les derniers neurones qui nous restent après des heures de bains de soleil assortis de cocktails alcoolisés, notre masochisme estival nous conduit régulièrement à effectuer des missions particulièrement suicidaires (pour notre équilibre mental et nerveux), comme d’aller voir en avant-première un film comme cet En eaux très troubles, particulièrement prometteur.
Nul besoin de maintenir un suspense gratuit : oui, cette suite d’En eaux troubles (on apprécie l’inflation dans le titre qui remplace le trop facile En eaux troubles 2, et on attend avec impatience En eaux super méga grave troubles pour 2024) est aussi désastreux que l’on espérait. Voire même un chouïa pire !… Même si l’on appréciera forcément les quelques scènes où l’adorable Jason Statham, toujours aussi sympathique, distribue des grosses mandales à une ribambelle de criminels écocides : ce sont là les quelques minutes de jouissance qui peuvent sans honte s’apprécier au premier degré ! Malheureusement, ces scènes sont principalement regroupées dans l’introduction du film, avant que la consternation ne nous gagne.
Consternation car nous n’avions pas anticipé que le film est largement financé par la Chine, qui en profite pour passer un message pas trop subtil sur ses « préoccupations environnementales » : le véritable grand héros invincible, sans peur et sans reproche comme un chevalier Bayard de l’Empire du milieu, est un scientifique chinois génial, interprété par Jing Wu, acteur populaire approuvé par le PCC, tandis que tous les gros méchants sont d’horribles capitalistes occidentaux qui veulent exploiter clandestinement les richesses du sous-sol marin (sous-entendu appartenant à la Chine). Ce sous-texte propagandiste n’est pas loin de nous gâcher le plaisir généré par la bêtise crasse du film.
La « grande idée » des scénaristes de En eaux très troubles, c’est – sans surprise – le recyclage : on imagine très bien la réunion de brainstorming sous psychotropes ayant donné naissance au monstre difforme qu’est ce film. « Eh, si on mélangeait les Dents de la Mer, Abyss et Jurassic Park ? ». « Ouais, génial, mais moi je veux qu’on rajoute un kraken aussi, car il y a pas assez de films avec un kraken, je trouve ! ». Aussitôt décidé, aussitôt écrit (?), aussitôt filmé ! Et c’est comme ça que l’on se fait suer pendant une moitié du film dans une aventure en grandes profondeurs aussi incompréhensible qu’aberrante, qui nous fait regretter de ne pas être resté sous un parasol à boire des piña coladas : on ne s’amuse qu’occasionnellement en voyant Jason Statham faire une ballade en apnée à 7000 mètres de profondeur avec un léger saignement de nez, ou en admirant l’intelligence de nos héros trouvant toujours instantanément le bon bouton pour ouvrir un sas ou allumer toutes les lumières au sein d’une immense base sous-marine secrète qu’ils viennent juste de découvrir.
Heureusement, la dernière partie du film tient enfin toutes les promesses de la bande-annonce : la dévastation de « Fun Island », un paradis touristique pour Chinois fortunés, par trois mégalodons, un kraken et quelques salamandres préhistoriques et carnivores, est l’un des plus beaux moments WTF de cette année 2023, et fait enfin monter l’énergie dans la salle. On se régale à voir Statham trucider les mégalodons à coup de pales d’hélicoptère arrachées ou d’explosifs confectionnés en trente secondes. Même si la scène du remplissage express en carburant d’un hélicoptère assiégé par les monstres restera particulièrement gravée dans nos mémoires…
Quand les lumières se rallument, une petite salve d’applaudissements éclate dans la salle comble du multiplexe : on hésite entre premier ou second degré, on préfère sans doute ne pas savoir… Quant à nous, nous regretterons amèrement la qualité très honnête des effets spéciaux (l’argent chinois…) : des requins en caoutchouc comme au bon vieux temps des séries Z italiennes auraient certainement ajouté à notre plaisir.
Eric Debarnot