Le problème avec les écrivains prolifiques, c’est que l’on oublie parfois à quel point ils peuvent être talentueux. Ces dernières années, on avait un peu négligé les romans de James Lee Burke. Les Jaloux, son très beau nouveau livre, vient nous rappeler pourquoi on aime tant cet auteur.
James Lee Burke est sans conteste l’un des plus grands écrivains de romans noirs, l’un des piliers des éditions Rivages, avec James Ellroy. Bien plus prolifique que l’auteur du Dahlia noir, Burke publie un roman par an depuis plus de 40 ans. S’il est l’auteur de quelques chefs-d’œuvre (Prisonniers du ciel, Dans la Brume électrique avec les morts confédérés,…), Burke a parfois donné l’impression de se répéter ces dernières années et ses récents romans consacrés au personnage de Dave Robicheaux ont moins séduit que par le passé. Mais la parution des Jaloux arrive à point nommé pour nous rappeler l’immense talent de cet auteur. Porté comme toujours par une écriture sublime, ce nouveau livre est l’occasion idéale pour (re)découvrir James Lee Burke.
L’intrigue du roman se situe à Houston au tout début des années 1950. Aaron Holland Broussard est un adolescent de 17 ans qui s’efforce d’être quelqu’un de bien, en dépit ou à cause des démons qui le hantent. Aaron est en effet victime de crises, des sortes black-out dont il émerge sans se souvenir de ce qu’il a pu faire pendant un certain laps de temps. Aaron doit aussi vivre avec la dépression de ses parents : un père droit et intègre mais alcoolique et une mère rongée par une insondable tristesse.
Un soir, Aaron intervient alors qu’il est témoin d’une dispute entre Grady Harrelson et sa petite amie Valérie Epstein. Secrètement amoureux de la jeune fille, Aaron se confronte verbalement à Grady, un jeune homme issu de l’une des plus riches familles du Texas. Il ne le sait pas encore mais cette altercation sera le point de départ d’une spirale de violence dans laquelle il va être entraîné bien malgré lui. Aaron va alors découvrir un monde dont il ignore tout, un monde peuplé de flics ripoux, de mafiosi, de trafiquants de drogue et de voyous, un monde animé par les rivalités et la jalousie.
À partir de cette intrigue assez simple, rythmée par des scènes d’affrontements souvent verbaux, parfois physiques, James Lee Burke construit un tableau d’une époque révolue mais qu’il a bien connue. Il restitue les années 50 avec la précision qu’on lui connaît : les marques des voitures, les références musicales et les descriptions des vêtements des adolescents viennent émailler un récit qui parvient parfaitement à saisir cette époque, celle d’un pays prospère et puissant mais rongé par le mal. Le maccarthysme, les inégalités sociales, le racisme, la cupidité sont comme des vers qui pourrissent le fruit. Car finalement, dans Les Jaloux comme dans toute son œuvre, James Lee Burke ne cesse de s’interroger sur le mal. Si ses romans sont peuplés de personnages monstrueux (ici les tueurs de la mafia), ils sont aussi parcourus de personnages capables du meilleur comme du pire, des personnages qui, à l’instar d’Aaron, s’efforcent d’être bons mais sont dévorés par instants par une colère incontrôlable. Chez Burke, le monde est donc une sorte de paradis corrompu par l’homme. Ses descriptions qui laissent une large part aux sensations témoignent d’ailleurs de son amour de la nature, une nature salie par l’homme.
Pour autant, James Lee Burke n’est pas un auteur pessimiste. Ses personnages sont aussi capables d’aimer et dans Les Jaloux il est beaucoup question d’amour : l’amour filial est au cœur d’un roman qui propose une autre très belle histoire d’amour, celle d’Aaron et Valérie, deux adolescents qui n’aspirent qu’à vivre et être heureux.
Âgé de 86 ans, James Lee Burke refuse donc de prendre sa retraite. Il nous propose au contraire l’un de ses plus beaux romans.
Grégory Seyer