Par la diversité et le sérieux des sujets traités, le livre de Michel Giguère et Michel Rabagliati rappelle le très beau livre d’entretiens entre François Truffaut et Alfred Hitchcock (1966), une sacrée référence.
Fils de typographe, Michel Giguère étudie le graphisme. Le jeune diplômé se lance dans l’illustration publicitaire et, rapidement, vit de son talent. Après une dizaine d’années, il parvient à faire éditer le premier récit de Michel Rabagliati, Paul à la campagne, par La Pastèque, un jeune éditeur à qui il restera fidèle. Nous sommes en 1999, Le succès est immédiat. Le dessinateur abandonne l’illustration et publie huit autres albums en 20 ans. Tous sont consacrés à Paul, son double de papier.
Pour avoir enseigné la bande dessinée durant 30 ans, Michel Giguère aime et connait le 9e art en général et la série Paul en particulier. Ce très beau livre est plus qu’un hommage à son ami Michel Rabagliati, c’est une véritable étude sur la genèse de son travail, sur ses influences et sa technique.
Rabagliati a révolutionné la bande dessinée francophone en imposant sa vision de l’autofiction. Oubliez les héros guerriers ou policiers, les voyages autour du monde et les univers parallèles, il entend partir de ce qu’il connait bien : sa ville et son quartier, sa famille et ses amis. L’autofiction n’est pas une simple autobiographie, mais le récit scénarisé des grands évènements de sa vie. D’ailleurs, toute autobiographie serait une autofiction, l’auteur nous épargnant les temps morts, les redites et la révélation de ses petits ou grands secrets.
L’auteur prend soin de ne montrer que le meilleur de ses proches et, par prudence, sollicite leur autorisation avant de les intégrer dans ses albums. S’il change les noms et modifie dates et lieux, tout le reste est documenté et référencé. Il soigne ses décors et, plus subtil encore, ses dialogues, il excelle dans la cherche du mot ou de l’expression juste.
Honnête, Rabagliati regrette de ne pas avoir assez travaillé son dessin. Jamais il ne surpassera ses maîtres, Hergé, André Cheret ou, « son idole absolue », André Franquin. Mais, si son trait peut paraître simple, il facilite l’identification du lecteur et, au final, n’a que peu d’importance. L’histoire, les cadrages et les ellipses importent plus que la virtuosité graphique. Plus surprenant, l’histoire touche moins par elle-même que les réminiscences qu’elle génère chez ses lecteurs. « On me parle rarement de mes dessins et curieusement pas tant que cela de mes histoires. Les lecteurs [lors des séances de dédicaces] viennent surtout partager les émotions que mes histoires ont provoquées en eux. »
Au fil des pages, Rabagliati se révèle très proche de son héros. Tous deux sont simples et sensibles, authentiques mais pudiques. À l’instar de ses plus fidèles lecteurs, il a vieilli. Le métier est exigeant. Travaillant à la main, le dessinateur souffre physiquement, le rythme de ses sorties s’en ressent. Son dernier album, Paul à la maison, est plus sombre qu’à l’accoutumé. De fait, l’auteur vivait alors les affres d’un douloureux divorce… Si l’œuvre éclaire la vie de l’auteur, elle en est aussi le reflet.
Une seconde partie, moins personnelle, est consacrée à une présentation du métier de bédéaste. Giguère nous fait découvrir les différents aspects de sa technique, les accroches et les cadrages, les lettrages et les ellipses… Peut-être espèrent-ils générer des vocations. Rabagliati n’a-t-il pas découvert, jadis, le métier dans un livre de Franquin et Gillain ? L’élève a rejoint le maître…
Stéphane de Boysson