C’est bien joli de vouloir inspirer les jeunes femmes victimes de préjugés, mais pour cela, il faudrait que la loi de la plus forte bénéficie d’un scénario beaucoup moins édulcoré et plus réaliste !
Même si son nom – d’origine française par sa mère jamaïcaine – n’évoque pas grand-chose chez nous, Michelle Buteau est une sorte de star de la télé et du web aux USA : comédienne de stand-up et animatrice d’émissions, elle a également publié un livre, Survival of the Thickest (qui est aussi le titre de sa série Netflix), qui est le récit de sa vie, de ses combats en tant que « femme de couleur » et « femme forte ». Car Michelle n’est pas « blanche », même si sa peau claire – et ses fameuses taches de rousseur – nous la font paraître, à nos yeux européens, pas du tout « afro-américaine », et surtout elle a des formes généreuses, éloignées des standards de la télévision et du cinéma… mais proches en fait du format de l’Américain(e) moyen(ne).
Après le succès de son livre, elle a donc adapté son histoire en série TV : Michelle Buteau devient Mavis Beaumont et la comédie est remplacée, comme vocation / profession, par le stylisme de mode. Pourquoi pas ? Après tout, se montrer en exemple, avec assez d’humour, d’auto-dérision, quand on a réussi, pour inspirer des jeunes femmes complexées par leur apparence, est loin d’être une mauvaise idée, et constitue même un motif honorable d’existence d’une série, une série qui sera donc forcément feel good et inspirante.
Le problème, et il est de taille lui aussi, c’est que les bons sentiments et le « positive thinking » ne font que très rarement de bons films ou de bonnes séries. La loi de la plus forte (jeu de mot fonctionnant bien en français sur l’adjectif « forte ») raconte donc les pérégrinations de Mavis, styliste commençant à percer dans le milieu new-yorkais, et qui doit tout recommencer à zéro quand elle se sépare de l’homme de sa vie, Jacques, photographe de mode, qu’elle a surpris au lit avec une autre. Ce nouveau départ dans la vie va être pour elle l’occasion de se retrouver, de clarifier ses objectifs et ses désirs, autant dans sa vie professionnelle qu’amoureuse. Bien ! Tout cela est très gentil, et ce d’autant que Buteau intègre dans sa démarche d’inclusion la communauté LGBT+, mais, en dépit de la sympathie immédiate qu’elle génère à l’écran, on se rend compte rapidement – disons au bout de trois épisodes seulement sur les huit de la saison – que la loi de la plus forte souffre de pas mal de choses gênantes.
D’abord, on va vite s’irriter de voir tous les personnages de la série évoluer dans le milieu « bobo » new-yorkais, comprenez un mélange d’artistes branchés, de personnalités des arts et de la culture et d’hommes et femmes d’affaires qui débordent forcément d’intelligence, de créativité et… d’argent. Car même si Mavis est sensée « galérer », il faut bien admettre que ses « galères » sont bien peu réalistes, bien éloignées de celles du téléspectateur moyen qui travaille dur tous les jours et a du mal à boucler ses fins de mois : dans un tel cadre, l’identification souhaitée aura du mal à fonctionner…
Ensuite, si la loi de la plus forte prône la recherche de soi, le courage de trouver sa propre voie sans suivre les diktats sociétaux (la famille, la religion, clairement figurées, c’est vrai, comme aliénantes ici), et, bien entendu, le patriarcat toxique (le personnage de Jacque, plutôt bien écrit, est ainsi un mélange pertinent de machisme insupportable et de charme indéniable), la série manque quant à elle de parti-pris fort. Est-ce une comédie ? Nous ne rions pas beaucoup devant la loi de la plus forte, nous sourions à l’occasion. Est-ce une romance ? Les trois histoires sentimentales de Mavis, son meilleur ami Khalil (Tone Bell, terriblement séduisant) et sa meilleure amie Marley (une femme de pouvoir qui découvre le bonheur de l’homosexualité) sont sympathiques, mais elles n’ont guère d’originalité, ni même de charme.
Il nous reste donc le côté « leçon de vie », qui est certainement central à la série… Mais quand le racisme n’est évoqué que lors d’une unique scène de quelques minutes en milieu de saison, quelle crédibilité a donc le récit de Buteau ? Et quand le scénario n’arrête pas de mettre sur le chemin de Mavis des obstacles aussi facilement renversés ou contournés, et des opportunités aussi énormes et évidentes à saisir, quelle peut bien être la leçon ? Non, désolé, mais, en dépit de toute notre bienveillance vis-à-vis des thèmes traités, la loi de la plus forte a avant tout une écœurante fragrance d’eau de rose !
Eric Debarnot