Il est grand temps que les auteurs de fictions musicales s’intéressent au rap, qui est quand même, qu’on l’aime ou pas, le genre musical de notre époque. Le cinéma – français en particulier – étant désespérément à la traîne, c’est une BD qui s’y colle. Avec un vrai succès…
Depuis qu’on écrit ou qu’on filme des biopics musicaux, ou même des histoires de musiciens imaginaires, le scénario est immanquablement le même : la découverte d’un talent, voire d’un génie, l’ascension irrésistible vers la gloire, puis les excès en tous genres, avant le déclin et la chute de l’idole. Après la comédie musicale, le jazz et le rock, il est grand temps qu’on s’intéresse au rap, étant donné 1) l’importance de cette musique et de la culture qui y est associée 2) le potentiel fictionnel largement supérieur lié aux origines sociales de la musique, avec toutes les réalités et les fantasmes de criminalité et de violence qui vont avec. Pour le moment, pourtant, on compte peu de films, de séries TV, de livres qui s’intéressent au rap, et encore moins qui tentent une approche honnête du phénomène, musical autant que sociétal. C’est donc réellement tout à l’honneur de Loulou Dédola d’avoir écrit ce Rap Game, et d’en avoir fait une BD avec la collaboration de Massimo Dall’Oglio, auteur italien…
Rap Game nous raconte la trajectoire d’un jeune rappeur parisien, BM 20, originaire du 20ème arrondissement, qu’une vidéo provocatrice filmée à l’arrache devant le Stade Vélodrome de Marseille va jeter sous les feux de l’actualité. Grâce en particulier aux idées et au talent musical de l’un des membres du collectif dont il fait partie, nourrissant son style de ses racines africaines, BM20 va devenir une star du rap français. Laissant derrière lui ses amis, sans grands états d’âme… mais n’arrivant pas non plus à rompre avec les mauvaises habitudes de son quartier, comme les rivalités ataviques entre bandes, ce qui provoquera sa chute.
Il y a donc dans Rap Game toutes les étapes du genre du « biopic musical » – révélation, ascension, chute -, mais aussi tous les ingrédients attendus quand on évoque le rap : violence entre bandes, traitement brutal des femmes, ambigüités des rapports avec la culture des origines familiales, attrait pour l’argent facile, excès sur les réseaux sociaux, hypocrisie de l’industrie musicale et des médias, etc. Pourtant, Rap Game est une réussite flagrante en termes de crédibilité : il échappe avec finesse à tous les clichés réducteurs, il transcende la banalité de l’évidence du parcours de son héros bien peu sympathique, mais si ordinairement humain. C’est que Loulou Dédola, lui-même musicien, écrivain, mais aussi animateur et formateur en banlieue lyonnaise, sait visiblement de quoi il parle : jamais il ne regarde de haut, jamais il ne juge ses personnages, même dans leurs excès les plus condamnables. Cette empathie, cet amour même pour les jeunes « héros » de cette histoire banalement tragique, transparaît dans chacune des pages de Rap Game, au point qu’on n’a plus envie de quitter ses protagonistes lorsque survient la fin, sèchement brutale, de l’aventure musicale de BM20 : si cette conclusion tranchante a une force indéniable, on aurait aimé suivre les conséquences du drame sur la vie des personnages…
Le dessin de l’italien Massimo Dall’Oglio sert impeccablement le récit, même s’il a parfois des difficultés à caractériser les visages des personnages, pas toujours reconnaissables. On remarquera aussi que l’usage des couleurs dans les premières pages (abandonné progressivement ensuite) confère une meilleure lisibilité au récit, alors que certaines cases descriptives complexes (paysages urbains, scènes de foules) manquent, en simple noir et blanc, de clarté.
Rap Game reste en tout cas un livre passionnant et juste (ou tout au moins, qui le paraît à un lecteur pas forcément immergé lui-même dans cette culture) sur le phénomène du rap français et sur la réalité de la vie de ses artistes.
Eric Debarnot