C’est l’été, saison idéale pour danser sans souci sur une musique pas trop compliquée. Les filles de Girl Ray l’ont bien compris, qui sortent en plein mois d’août Prestige, collection de faux tubes disco mâtinés d’electro pop. Let’s Dance !
S’il est une chose que Prestige, le troisième album du trio londonien Girl Ray prouve bien, c’est que l’indie pop mène à tout, pourvu qu’on ait envie de passer à autre chose. On peut évidemment ironiser sur le fait que l’envie de Poppy Hankin, Iris McConnell et Sophie Moss, nos trois chipies préférées du mois, c’était peut-être simplement d’être reconnues, de vendre des disques et des places de concert, et que, pour cela, sortir un album de disco mâtinée d’electro-pop eighties, était une idée brillante. On préférera les croire sur paroles quand elles parlent du besoin de retrouver la joie simple de tomber amoureux d’un ou d’une inconnue lors d’une soirée passée à danser en oubliant tous ses soucis.
Intro nous invite à garer notre voiture devant un club (le « Prestige » ?) à l’intérieur duquel résonne – on l’entend à travers la porte qui va s’ouvrir devant nous – le beat de True Love. « True love / Heartbeat, my arms wait for you » (le véritable amour / battement de cœur, mes bras t’attendent) : on se sent immédiatement les bienvenus sur la piste de danse, sur un morceau disco irrésistible, dont l’artificialité élégante rappelle inévitablement Chic. Et quand la chanson se clôt sur un solo délicieusement « liquide », on sait qu’on a bien fait de venir chercher l’âme sœur au « Prestige ». Up reproduit immédiatement le même genre de magie, dans un mood un peu plus mélancolique, avec cette fois un solo de guitare ébouriffant pour contenter l’amoureux du rock qui survit (à peine) derrière le frimeur du dance-floor. Le refrain ironique (?) de Everybody’s Saying That, débité à la mitraillette (qui tire des bulles de savons colorées plutôt que des balles), constitue la réjouissance suivante : « Everybody’s saying that you could’ve done better / But I really wanna end up with you » (Tout le monde dit que tu aurais pu avoir bien mieux que moi / Mais je veux vraiment être avec toi). Et le petit solo de synthé au milieu évoque le style du Stevie Wonder impérial des années 80.
Et les chansons s’enchaînent, toutes plutôt courtes, dans cette atmosphère à la fois ludique et flottante, presque irréelle : la disco de Girl Ray, en dépit de sa mécanique « Chic » a quelque chose « d’ambient music », qui distille peu à peu, derrière le brio délicieux des mélodies, une mélancolie indicible. C’est une sorte de supplément d’âme qui trahit sans doute les origines musicales de Girl Ray, et un titre comme Hold Tight évoque une Kylie Minogue (l’un des noms cités par Poppy Hankin parmi les références pour cet album) qui arrêterait de sourire en se trémoussant pour aller s’asseoir dans l’herbe humide d’un parc londonien au petit matin, le cœur un peu serré. Plus loin, Wanna Dance, avec son délicieux refrain, s’apparentera à un doux baiser de consolation quand la tristesse de la vie est trop forte et que l’amour entrevu dans les lumières brillantes de la discothèque s’avère une déception : « Now you wanna dance, but dance is all we do » (Maintenant tu veux danser, mais nous ne faisons rien d’autre que danser…).
Tous les morceaux de Prestige ne sont pas extraordinaires, il faut le reconnaître, et les amoureux de la disco des origines regretteront certainement que les beats restent toujours très civilisés, presque polis, et que jamais la moindre frénésie ne puisse naître : après tout, nous aimerions tous nous laisser emporter une fois encore par le tourbillon de la disco, en montant un peu le son… Mais ce n’est pas là le programme de Girl Ray, même si l’excellent Tell Me est encore ce qui se rapproche le plus ici d’une sorte d’expérience physique…
L’une des forces indiscutables de Prestige, c’est de savoir se conclure sur son plus beau morceau, le plus long (près de 8 minutes), le plus complexe : Give Me Your Love. Ce titre, qui frôle la perfection, a été réalisé avec la collaboration de Joe Goddard et Al Doyle, de Hot Chip (qui ont aussi mis à disposition des filles leur matériel…), et bénéficie d’une multitude de sonorités originales qui renouvelle d’un coup la musique de Girl Ray. La transcende même.
Quelle que soit l’importance des idées apportées par Hot Chip sur ce titre, c’est en tout cas la preuve indiscutable de la pertinence de la démarche musicale de Girl Ray.
Eric Debarnot