Pour son dernier album, Chabouté s’est immergé dans le Musée d’Orsay. Il y a déambulé dans ses recoins les plus obscurs, des sous-sols aux greniers, de nuit comme de jour, pour tenter d’en révéler les mystères (tout au moins une partie), et les consigner dans cette plaisante mosaïque fantastico-poétique.
Ce huis-clos très poétique nous plonge au cœur du Musée d’Orsay. On y découvrira que même la nuit, il y a beaucoup de vie dans ce lieu mythique, et que si les visiteurs aiment à observer les œuvres qui le peuplent, ils ignorent qu’eux-mêmes sont observés par ces dernières. Un jeu de miroir fascinant qui nous est proposé par le talentueux Christophe Chabouté.
A l’instar du Musée du Louvre, le Musée d’Orsay s’est mis à son tour à faire des commandes auprès des éditeurs de bandes dessinées. Christophe Chabouté, artiste reconnu dans le neuvième art par son approche singulière, notamment pour son utilisation quasi exclusive du noir et blanc (comme Comès avant lui), est donc le deuxième auteur (sauf erreur) après Catherine Meurisse, à avoir été approché par la célèbre institution parisienne, en collaboration avec Glénat/Vents d’Ouest. Il nous propose ainsi un ouvrage où il réussit à conserver sa touche personnelle tout en se conformant à l’exercice imposé.
Et on peut dire qu’il s’en sort plutôt bien. Graphiquement parlant, il ne déroge pas à son style habituel et confirme sa maitrise du N&B, alliée à un trait tout en finesse et une mise en page efficace où chaque plan souligne un détail significatif. Chabouté n’a plus rien à prouver à ce niveau. La narration éclatée, assemblage de saynètes, agit comme un miroir déroutant où les rôles sont inversés : le sujet se fait objet, l’observateur (le visiteur du musée) devient l’observé, tandis que les œuvres d’art (on va le comprendre très progressivement, au bout d’une cinquantaine de pages muettes et atmosphériques) vivent leur propre vie (la nuit, une fois que les portes se sont refermées) et y vont de leurs commentaires, parfois moqueurs, parfois candides, sur le monde des humains de chair et d’os. C’est finement observé et plein d’humour, de sensibilité et de poésie, d’intelligence et d’érudition, et il est difficile de ne pas tomber sous le charme. On pense parfois à Jacques Tati, et on se dit que ce dernier aurait pu très bien faire un film sur le sujet…
Cela n’empêchera pas d’émettre quelques réserves, à commencer par ce sentiment déjà-vu quant aux thématiques de « l’observateur-observé », un pur délice de bédéaste, et des œuvres prenant vie. Ce sont certes de bonnes idées, et tout dépend surtout de la manière dont elles sont développées, mais l’effet de surprise risque d’être amoindri pour ceux qui auront déjà lu La Traversée du Louvre, de David Prud’homme ou Les Tableaux de l’ombre de Jean Dytar. Dans le cas présent, si l’entreprise dégage un charme indéniable, on peut regretter que Chabouté se soit davantage laissé guider par l’aléatoire que par une réelle volonté de composer une histoire. Musée s’avère une œuvre récréative fort sympathique mais qui ne marquera pas outre mesure le lecteur un peu (trop ?) exigeant.
Laurent Proudhon