Vingt-cinq ans après Zulu, Caryl Férey revient en Afrique avec Okavango, un polar didactique et efficace qui nous emmène en Namibie, au cœur des réserves africaines. L’écrivain profite de son intrigue policière pour louer la beauté d’un monde sauvage menacé par la bêtise et l’avidité des hommes.
Inlassable globe-trotter, Caryl Férey n’est pas un voyageur comme les autres. Comme l’explique l’un des personnages au début d’Okavango, la plupart des touristes reviennent de leurs vacances avec des photos qu’ils ne regarderont probablement jamais. Férey préfère rapporter de ses voyages des histoires qu’il transforme ensuite en formidables romans noirs. Ainsi, depuis Haka (1998) dont l’intrigue se déroulait en Nouvelle Zélande, il nous a emmenés en Australie (Utu), en Afrique du Sud (Zulu), en Argentine, au Chili et en Colombie (Mapuche, Condor et Paz) et même en Sibérie avec Lëd, son roman paru aux Arènes en 2021. Et à chaque fois l’intrigue policière permet à Férey de mettre en lumière des cultures mal connues et des peuples opprimés auxquels il veut rendre hommage. Son nouveau livre s’inscrit parfaitement dans ce projet littéraire aussi passionnant que cohérent.
L’Okavango est un fleuve qui traverse la Namibie et le Botswana avant de terminer sa course dans le désert du Kalahari. D’immenses réserves ont été constituées au cœur de cette Afrique australe afin de préserver une flore et surtout une faune sauvage que l’homme a massacrée. Rhinocéros, éléphants, girafes, lions… plus l’animal est impressionnant et rare, plus il est traqué par des braconniers avides de sang et de dollars. Solanah Betwase, la protagoniste du nouveau roman de Caryl Férey, est une ranger chargée veiller sur l’une de ces réserves. Toute sa vie est consacrée à ce combat pour la nature. Lorsque le cadavre d’un jeune homme est découvert à Wild Bunch, une réserve animalière privée, ses supérieurs, convaincus d’avoir affaire à des braconniers, lui confie une enquête qui s’annonce difficile. Solanah fait alors la rencontre de John Latham, le richissime propriétaire de Wild Bunch, un misanthrope difficile à cerner. L’affaire se complique d’autant plus que des cadavres d’animaux mutilés sont bientôt retrouvés… Et une rumeur de plus en plus insistante se fait entendre : le Scorpion, le pire braconnier du continent africain, serait de retour en Namibie.
Quand on lit Caryl Férey, on a parfois l’impression que l’auteur s’est approprié la devise des auteurs classiques : « plaire et instruire ». Une grande partie de son œuvre romanesque semble vouloir répondre à ces deux objectifs. Et Okavango y parvient une fois de plus avec talent. On pourra certes reprocher au roman quelques longueurs dans sa première partie, ou quelques heureux hasards qui permettent à l’intrigue de progresser. Mais comment ne pas reconnaître l’efficacité d’un roman qui se lit de bout en bout avec beaucoup de plaisir ? Caryl Férey sait construire des intrigues passionnantes et efficaces, riches en rebondissements et en mystères. Et ses personnages, souvent attachants, sont bien plus complexes qu’il n’y paraît au départ, à l’image de cet insaisissable John Latham. Mais l’écrivain parvient surtout à distiller dans son récit une somme d’informations considérable – des informations qui lui permettent de construire au final un roman aussi instructif qu’édifiant. Il nous révèle ainsi l’ampleur des trafics liés au braconnage et donc au massacre d’espèces pourtant protégées. Et il met aussi en lumière l’histoire des San, l’un de ces peuples méconnus et martyrisés auxquels, roman après roman, il rend hommage en levant le voile sur des faits que le temps cherche à effacer.
Roman d’aventures autant que polar, Okavango est avant tout un vrai roman engagé qui témoigne de la colère de son auteur. Pour autant, son humanisme ne fait aucun doute et de nombreux éclairs de lumière traversent un roman dont le final se révèle pourtant très sombre.
Une fois la dernière page d’Okavango refermée, on est certain d’une chose : même si l’on ne sait pas encore où Caryl Férey nous emmènera dans son prochain livre, on sait que l’on fera partie du voyage.
Grégory Seyer