La Contrebande Society de Forest Hills raconte le quotidien de quatre adolescentes en quête de sensations fortes dans une bourgade étatsunienne pendant les années 2000. S’il comporte du rythme et de la fantaisie à foison, ce roman graphique à haut potentiel ne tient pas vraiment toutes ses promesses.
A Forest Hills, en Californie, Brooke et ses amies tuent le temps en regardant des « animes » japonaises, quand elles ne sont pas au pensionnat du lycée chrétien très conservateur de la ville. Après avoir visionné par hasard un dessin animé très kitsch et quelque peu olé-olé (avec une cyborg géante tirant des rayons laser avec ses seins !), les quatre jeunes filles vont avoir l’idée de produire des DVD pirates pour les revendre à leurs camarades pubères… Si leur initiative rencontre peu de succès au début, la mayonnaise finira pourtant par prendre. Et si c’était le début de la richesse et de la gloire pour la petite bande de « bootlegueuses » ?
Comment qualifier cet ouvrage autrement que générationnel ? Les auteurs, Dave Baker, scénariste américain encore inconnu, et Nicole Goux, jeune « illustratrice de bandes dessinées qui vit à Los Angeles », nous livrent ici un récit bien dans la veine du nouveau roman graphique US, à la fois très personnel et marqué par la pop-culture mondiale avec des influences diverses. La Contrebande Society de Forest Hills est le deuxième opus de l’autrice à être publié en français après Shadow of the Batgirl, un comics initiatique sorti chez Urban Comics et évoquant la crise psychologique d’une fille d’assassin.
On le sent bien, Baker et Goux ont beaucoup de choses à nous dire, et c’est ce qui les rend intéressants. Les personnalités de ces jeunes lycéennes qui vont revendre des DVD pirates extraits d’animes japonaises un rien polissonnes à leurs camarades masculins sont très bien campées. Le dessin est très dynamique, avec une légère influence manga, le tout bénéficiant d’une mise en page très variée assortie d’une bichromie discrète dans des tons vert désaturés.
A l’évidence, les auteurs ont opté pour l’exhaustivité plutôt que le minimalisme. Et c’est un peu là que le bât blesse, tant d’un point de vue narratif que graphique. On est parfois proche du délire explicatif : outre les jeunes héroïnes, presque chaque nouveau personnage apparaissant au cours du récit est cerné par mille phylactères détaillant sa vie et ses traits de caractère, souvent sans grand intérêt il faut bien le dire, d’autant que la plupart n’auront qu’un rôle plus que minime dans l’histoire. Et si les dialogues partent un peu dans tous les sens, que dire des sujets abordés, en relation avec des préoccupations principalement adolescentes de jeunes filles matures en quête d’affirmation et au final à peine développés, tant les textes abondent : la religion, la foi (qui ne sauve pas forcément), l’amitié, l’image de soi et la popularité au sein d’un groupe, l’homosexualité naissante (celle de Brooke), les conflits familiaux, bref, autant de thèmes survolés pâtissant d’un certain éparpillement.
Même si l’on parvient à suivre jusqu’au bout le fil du récit, ce sera au prix d’un effort de concentration non négligeable. Tout en appréhendant La Contrebande Society de Forest Hills comme le cliché révélateur d’un état d’esprit adolescent à une époque particulière (les années 2000), on risque de ressortir de cette lecture passablement lessivé (c’est mon cas) et c’est bien dommage, car il y a là une vraie fantaisie créative dans le dessin, de la finesse et un potentiel qui gagnerait sans doute à être exploité de façon plus construite, moins dispersée.
Laurent Proudhon